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ANECDOTES SUR LOUIS XIV.

qu’on a compilées de son règne ; jamais prince n’a plus donné, plus à propos, et de meilleure grâce.

Les plaisirs nobles dont il occupa sans cesse la plus brillante cour du monde ne l’empêchèrent point d’assister régulièrement à tous ses conseils ; il les tenait même pendant qu’il était malade, et il ne s’en dispensa qu’une fois pour aller à la chasse : il y avait peu d’affaires ce jour-là ; il entra pour dire qu’il n’y aurait point de conseil, et le dit en parodiant ainsi sur-le-champ un air d’un opéra de Quinault et de Lulli :

Le conseil à ses yeux a beau se présenter,
Sitôt qu’il voit sa chienne, il quitte tout pour elle ;
            Rien ne peut l’arrêter
            Quand la chasse l’appelle[1].

Il avait fait quelques petites chansons dans ce goût aisé et naturel ; et dans les voyages en Franche-Comté il faisait faire des impromptus à ses courtisans, surtout à Pellisson et au marquis de Dangeau. Il ne jouait pas mal de la guitare, qui était alors à la mode, et se connaissait très-bien en musique comme en peinture. Dans ce dernier art, il n’aimait que les sujets nobles. Les Teniers et les autres petits peintres flamands ne trouvaient point grâce devant ses yeux : « Ôtez-moi ces magots-là », dit-il un jour qu’on avait mis un Teniers dans un de ses appartements.

Malgré son goût pour la grande et noble architecture, il laissa subsister l’ancien corps du château de Versailles, avec les sept croisées de face, et sa petite cour de marbre du côté de Paris. Il n’avait d’abord destiné ce château qu’à un rendez-vous de chasse, tel qu’il avait été du temps de Louis XIII, qui l’avait acheté du secrétaire d’État Loménie. Petit à petit il en fit ce palais immense dont la façade du côté des jardins est ce qu’il y a de plus beau dans le monde, et dont l’autre façade est dans le plus petit et le plus mauvais goût ; il dépensa à ce palais et aux jardins plus de cinq cents millions, qui en font plus de neuf cents de notre espèce actuelle[2]. M. le duc de Créquy lui disait : « Sire, vous avez beau faire, vous n’en ferez jamais qu’un favori sans mérite. »

  1. Dans le prologue d’Atys, opéra de Quinault, on lit :


    Les plaisirs à ses yeux ont beau se présenter,

    Sitôt qu’il voit Bellone il quitte tout pour elle ;

    Rien ne peut l’arrêter

    Quand la Gloire l’appelle.

  2. Quelques personnes ont porté beaucoup plus haut le montant de ce que Versailles a coûté à la France. Mirabeau, et Volney surtout, ont tellement dépassé