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ANECDOTES SUR LOUIS XIV.

Louis XIV, On connaît ces vers galants que faisait Benserade pour ces ballets figurés où le roi dansait avec sa cour ; il y confondait presque toujours, par une allusion délicate, la personne et le rôle. Par exemple, lorsque le roi, dans un de ces ballets, représentait Apollon, voici ce que fit pour lui Benserade :


Je doute qu’on le prenne avec vous sur le ton[1]
         De Daphné, ni de Phaéton,
Lui trop ambitieux, elle trop inliumaine.
Il n’est point là de piége où vous puissiez donner :
         Le moyen de s’imaginer
Qu’une femme vous fuie, ou qu’un homme vous mène !


Lorsqu’il eut marié son petit-fils le duc de Bourgogne à la princesse Adélaïde de Savoie, il fit jouer des comédies pour elle dans un des appartements de Versailles. Duché, l’un de ses domestiques, auteur du bel opéra d’Iphigénie, composa la tragédie d’Absalon ; pour ces fêtes secrètes ; Mme  la duchesse de Bourgogne représentait la fille d’Absalon ; le duc d’Orléans, le duc de La Vallière, y jouaient ; le fameux acteur Baron dirigeait la troupe, et y jouait aussi.

Il y avait alors appartement trois fois la semaine à Versailles : la galerie et toutes les pièces étaient remplies ; on jouait dans un salon ; dans l’autre, il y avait musique ; dans un troisième, une collation. Le roi animait tous ces plaisirs par sa présence. Quelquefois il faisait dresser dans la galerie des boutiques garnies de bijoux les plus précieux ; il en faisait des loteries, ou bien on les jouait à la rafle, et Mme  la duchesse de Bourgogne distribuait souvent les lots gagnés.

C’était au milieu de tous ces amusements magnifiques, et des plaisirs les plus délicats, qu’il forma ces vastes projets qui firent trembler l’Europe ; il mena la reine et toutes les dames de sa cour sur la frontière. À la guerre de 1667, il distribua pour plus de cent mille écus de présents, soit aux seigneurs flamands qui venaient lui rendre leurs respects, soit aux députés des villes, soit aux envoyés des princes qui venaient le complimenter ; et il suivait en cela son goût pour la magnificence autant que la politique. C’est sur quoi on ne peut assez s’étonner qu’on l’ait osé accuser d’avarice dans presque toutes les pitoyables histoires

  1. Voltaire cite encore ces vers dans le chapitre XV de son Siècle de Louis XIV : voyez tome XIV.