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ANECDOTES SUR LOUIS XIV.

depuis, et favorisa ceux qui avaient des talents véritables, et qui plaisaient au maître.

Ce fut Louis XIV qui, de son propre mouvement, donna des pensions à Boileau, à Racine, à Pellisson, à beaucoup d’autres ; il s’entretenait quelquefois avec eux ; et même lorsque Boileau se fut retiré à Auteuil, étant affaibli par l’âge, et qu’il vint faire sa cour au roi pour la dernière fois, le roi lui dit : « Si votre santé vous permet de venir encore quelquefois à Versailles, j’aurai toujours une demi-heure à vous donner. » Au mois de septembre 1690, il nomma Racine du voyage de Marly ; et il se faisait lire par lui les meilleurs ouvrages du temps.

L’année d’auparavant il avait gratifié Racine et Boileau, chacun de mille pistoles, qui font vingt mille livres d’aujourd’hui, pour écrire son histoire, et il avait ajouté à ce présent quatre mille livres de pension.

On voit évidemment par toutes ces libéralités répandues de son propre mouvement, et surtout par sa faveur accordée à Pellisson, persécuté par Colbert, que ses ministres ne dirigeaient point son goût. Il se porta de lui-même à donner des pensions à plusieurs savants étrangers ; et M.  Colbert consulta M.  Perrault sur le choix de ceux qui reçurent cette gratification si honorable pour eux et pour le souverain. Un de ses talents était de tenir une cour ; il rendit la sienne la plus magnifique et la plus galante de l’Europe. Je ne sais pas comment on peut lire encore des descriptions de fêtes dans des romans, après avoir lu celles que donna Louis XIV. Les fêtes de Saint-Germain, de Versailles, ses carrousels, sont au-dessus de ce que l’imagination la plus romanesque a inventé. Il dansait d’ordinaire à ces fêtes avec les plus belles personnes de sa cour ; il semblait que la nature eût fait des efforts pour seconder le goût de Louis XIV. Sa cour était remplie des hommes les mieux faits de l’Europe, et il y avait à la fois plus de trente femmes d’une beauté accomplie. On avait soin de composer des danses figurées, convenables à leurs caractères et à leurs galanteries. Souvent même les pièces qu’on représentait étaient remplies d’allusions fines, qui avaient rapport aux intérêts secrets de leurs cœurs. Non-seulement il y eut de ces fêtes publiques dont Molière et Lulli firent les principaux ornements, mais il y en eut de particulières, tantôt pour Madame, belle-sœur du roi, tantôt pour Mme  de La Vallière : il n’y avait que peu de courtisans qui y fussent admis ; c’était souvent Benserade qui en faisait les vers, quelquefois un nommé Bellot, valet de chambre du roi. J’ai vu des canevas de ce dernier, corrigés de la main de