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ANECDOTES

SUR LOUIS XIV[1]

Louis XIV était, comme on sait, le plus bel homme et le mieux fait de son royaume. C’était lui que Racine désignait dans Bérénice par ces vers :


Qu’en quelque obscurité que le sort l’eût fait naître,
Le monde, en le voyant, eût reconnu son maître.


Le roi sentit bien que cette tragédie, et surtout ces deux vers, étaient faits pour lui. Rien n’embellit d’ailleurs comme une couronne. Le son de sa voix était noble et touchant. Tous les hommes l’admiraient, et toutes les femmes soupiraient pour lui. Il avait une démarche qui ne pouvait convenir qu’à lui seul, et qui eût été ridicule en tout autre. Il se complaisait à en imposer par son air. L’embarras de ceux qui lui parlaient était un hommage qui flattait sa supériorité. Ce vieil officier qui, en lui demandant une grâce, balbutiait, recommençait son discours, et qui enfin lui dit : « Sire, au moins je ne tremble pas ainsi devant vos ennemis », n’eut pas de peine à obtenir ce qu’il demandait.

La nature lui avait donné un tempérament robuste. Il fit parfaitement tous ses exercices, jouait très-bien à tous les jeux qui demandent de l’adresse et de l’action ; il dansait les danses graves avec beaucoup de grâce. Sa constitution était si bonne qu’il fit toujours deux grands repas par jour sans altérer sa santé ; ce fut la bonté de son tempérament qui fit l’égalité de son humeur.

  1. La plus ancienne édition que je connaisse de ces Anecdotes est celle qui fait partie du tome II, imprimé à Dresde, en 1748, des Œuvres de Voltaire, in-8°. On les réimprima dans le Mercure du mois d’août 1750, pages 5 et suivantes. (B.) — Pour d’autres Anecdotes sur Louis XIV, voyez tome XIV, chapitres XXV à xxviii du Siècle de Louis XIV.