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ARRIVÉS DANS NOTRE GLOBE.

Bacon, Newton, Galilée, Boyle, qui nous ont guéris de la fureur des systèmes en physique, ne l’ont point diminuée en histoire naturelle. Les hommes renonceront diflicilement au plaisir de créer un monde. Il suffit d’avoir de l’imagination et une connaissance vague des phénomènes que l’on veut expliquer ; on est dispensé de ces travaux minutieux et pénibles qu’exigent les observations, de ces longs calculs, de ces méditations profondes que demandent les recherches mathématiques. On bannit ces restrictions, ces petits doutes qui importunent, qui gâtent la rondeur des phrases les mieux arrangées ; et, si le système réussit, si l’on en impose à la multitude, si l’on a le bonheur de n’être qu’oublié des hommes vraiment éclairés, on a pris encore un bon parti pour sa gloire. Newton survécut près de quarante ans à la publication du livre des Principes, et Newton mourant ne comptait pas vingt disciples hors de l’Angleterre : il n’était pour le reste de l’Europe qu’un grand géomètre. Un système absurbe, mais imposant, a presque autant de partisans que de lecteurs. Les gens oisifs aiment à croire, à saisir des résultats bien prononcés ; le doute, les restrictions, les fatiguent ; l’étude les dégoûte. Quoi ! il faudra plusieurs années d’un travail assidu pour se mettre en état de comprendre deux cents pages d’algèbre qui apprendront seulement comment l’axe de la terre se meut dans les cieux ; tandis qu’en cent cinquante pages bien commodes à lire on peut savoir, sans la moindre peine, quand et comment la terre, les planètes, les comètes, etc., etc., ont été formées !

Voltaire attaqua la manie des systèmes, et c’est un service important qu’il a rendu aux sciences. Cet esprit de système nuit à leurs progrès, en présentant à la jeunesse des routes fausses où elle s’égare, en enlevant aux vrais savants une partie de la gloire qui doit être réservée aux travaux utiles et solides. Prétendre qu’il a répandu le goût des sciences, c’est dire que la Princesse de Clèves, et les Anecdotes de la cour de Philippe-Auguste, ont encouragé l’étude de l’histoire ; c’est confondre la connaissance des sciences avec l’habitude de prononcer des mots scientifiques, l’amour de la vérité avec la passion des fables, et le goût de l’instruction avec la vanité de paraître instruit. Cette manie des systèmes nuit enfin aux progrès de la raison en général, qu’elle corrompt, en apprenant aux hommes à se contenter de mots, à prendre des hypothèses pour des découvertes, des phrases pour des preuves, et des rêves pour des vérités.

Les ouvrages où Voltaire s’éleva contre cette philosophie sont donc utiles, malgré quelques erreurs : car les erreurs particulières sont peu dangereuses, et ce sont seulement les fausses méthodes qui sont funestes.




Il y a des erreurs qui ne sont que pour le peuple ; il y en a qui ne sont que pour les philosophes. Peut-être en est-ce une de ce genre que l’idée où sont tant de physiciens qu’on voit par toute la terre des témoignages d’un bouleversement général. On a trouvé dans les montagnes de la liesse une pierre qui paraissait