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DISSERTATION


envoyée par l’auteur, en italien, à l’académie de Bologne
et traduite par lui-même en français[1]


SUR LES CHANGEMENTS ARRIVÉS DANS NOTRE GLOBE


ET SUR LES PÉTRIFICATIONS
qu’on prétend en être encore les témoignages[2].


(1746)




AVERTISSEMENT


DES ÉDITEURS DE L’ÉDITION DE KEHL.


La dissertation sur les changements arrivés dans le globe parut sans nom d’auteur, et l’on ignora longtemps qu’elle fût de Voltaire. Buffon ne le savait pas lorsqu’il en parla dans le premier volume de l’Histoire naturelle avec peu de ménagement. Voltaire, que les injures des naturalistes ne ramenèrent point, persista dans son opinion. Au reste, il ne faut pas croire que les vérités d’histoire naturelle, que Voltaire a combattues dans cet ouvrage, fussent aussi bien prouvées dans le temps où il s’occupait de ces objets qu’elles l’ont été de nos jours.

  1. On voit, par la lettre de Voltaire à G.-Fr. Muller, du 28 juin 1746, que l’auteur avait envoyé cette pièce en anglais à la Société royale de Londres, et qu’il se proposait de la traduire en latin pour l’envoyer à l’Académie de Saint-Pétersbourg. Une traduction française de la version italienne fut imprimée dans le Mercure de juillet 1746. Ce fut dans l’édition de ses Œuvres, donnée à Dresde en 1748, que Voltaire fit insérer la traduction faite par lui-même, et qui, pour la plupart des lecteurs, est préférable à l’original italien. D’ailleurs, Voltaire a fait à diverses éditions de sa traduction des additions et corrections trop peu importantes pour être signalées, mais qu’il ne fallait pas rejeter. La Digression, qui est à la suite de la Dissertation, fut imprimée en 1751. Il paraît cependant que c’est d’elle qu’il est question dans la lettre de Voltaire à Quirini, du 23 avril 1749. (B.) — Voltaire, dans ses Questions sur l’Encyclopédie, donna, en 1770, un article intitulé Changements arrivés dans le globe ; voyez tome XVIII, page 127.
  2. Cette Dissertation parut en 1749. L’histoire naturelle avait fait en France peu de progrès : l’existence des coquilles fossiles était cependant connue depuis très-longtemps ; mais il faut avouer : 1° que l’on rangeait alors au nombre des productions de la mer trouvées dans l’intérieur des terres un grand nombre de substances dont les analogues vivants sont inconnus ; 2° que l’on avait décidé un peu légèrement que les coquilles fossiles d’un pays étaient les dépouilles d’animaux placés aujourd’hui dans les mers d’une portion du globe très-éloignée ; 3° que l’on mettait au nombre des coquilles fossiles plusieurs corps dont l’origine est encore absolument incertaine ; 4° qu’on regardait comme l’ouvrage de la mer les dépôts et les vallées qui sont évidemment celui des fleuves. Depuis ce temps, des observations plus suivies ont appris que l’on doit regarder les substances calcaires répandues sur le globe, à quelque profondeur ou à quelque élévation qu’elles se trouvent, comme formées par le débris d’animaux engloutis dans les eaux ; que les empreintes, les noyaux de ces coquilles, se retrouvent dans les craies et dans les silex ; qu’un très-grand nombre de silex doit même sa forme à un corps marin détruit, et dont la substance du silex a rempli la place. Les eaux ont donc couvert successivement ou à la fois tous les terrains où se trouvent ces subtances ; mais ces terrains ne forment point tout le globe.

    Une seule mer en a-t-elle couvert à la fois presque toute la surface, et la quantité d’eau du globe est-elle diminuée par l’évaporation, par la combinaison de l’eau avec d’autres substances ? Mais, en ce cas, pourquoi une si grande partie de la surface de la terre ne porte-t-elle aucune empreinte de ce séjour des eaux, quoique inférieure à des parties où cette empreinte est marquée ? La mer couvre-t-elle successivement toutes les parties du globe ? Cela est moins probable encore : quelque changement qu’on suppose dans l’axe de la terre, on ne trouvera aucune hypothèse qui explique comment la mer a pu se trouver sur les montagnes du Pérou, où cependant l’on a trouvé des coquilles.

    Supposera-t-on que la terre a été couverte de grands lacs séparés, dont la réunion successive a formé l’océan ? Cette hypothèse n’est du moins que précaire, et M. de Voltaire paraît ici lui donner la préférence.

    Il a eu tort sans doute de s’obstiner à nier l’existence des coquilles fossiles, ou plutôt de croire qu’elles étaient en trop petit nombre dans les pays très-éloignés de la mer, ou très-élevés, pour qu’on fût obligé de recourir à d’autres explications qu’à des causes purement accidentelles ; mais il a eu raison de reléguer dans la classe des romans tous les systèmes inventés pour expliquer l’origine de ces coquilles.

    Il faut observer enfin que les glossopètres ne sont pas des langues pétrifiées, et qu’on ne sait pas encore bien précisément ce que peuvent être ni les cornes d’Ammon, ni les pierres lenticulaires que l’on a retrouvées en France ; que les fougères dont on voit les empreintes dans les ardoisières du Lyonnais, fougères qu’on a cru longtemps ne se trouver qu’en Amérique, ont été observées en France, et qu’il faudrait connaître un peu plus les pays d’où viennent les fleuves de la mer du Nord, pour deviner d’où viennent les os d’éléphants qu’on trouve sur leurs bords. (K.)

    — C’est sans doute par faute d’impression que dans les éditions de Kehl cette Dissertation est datée de 1749 ; on a vu dans la note précédente qu’elle est de 1746.