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À L’ACADÉMIE FRANÇAISE.

sance. Des hommes unis entre eux par ce lien respectable et par le goût des beaux-arts s’assemblaient sans se montrera la renommée ; ils furent moins brillants que leurs successeurs, et non moins heureux. La bienséance, l’union, la candeur, la saine critique si opposée à la satire, formèrent leurs assemblées. Elles animeront toujours les vôtres, elles seront l’éternel exemple des gens de lettres, et serviront peut-être à corriger ceux qui se rendent indignes de ce nom. Les vrais amateurs des arts sont amis. Qui est plus que moi en droit de le dire ? J’oserais m’étendre, messieurs, sur les bontés dont la plupart d’entre vous m’honorent, si je ne devais m’oublier pour ne vous parler que du grand objet de vos travaux, des intérêts devant qui tous les autres s’évanouissent, de la gloire de la nation.

Je sais combien l’esprit se dégoûte aisément des éloges ; je sais que le public, toujours avide de nouveautés, pense que tout est épuisé sur votre fondateur et sur vos protecteurs ; mais pourrai-je refuser le tribut que je dois, parce que ceux qui l’ont payé avant moi ne m’ont laissé rien de nouveau à vous dire ? Il en est de ces éloges qu’on répète comme de ces solennités qui sont toujours les mêmes, et qui réveillent la mémoire des événements chers à un peuple entier : elles sont nécessaires. Célébrer des hommes tels que le cardinal de Richelieu, Louis XIV, un Séguier, un Colbert, un Turenne, un Condé, c’est dire à haute voix : « Rois, ministres, généraux à venir, imitez ces grands hommes. » Ignore-t-on que le panégyrique de Trajan anima Antonin à la vertu ? et Marc-Aurèle, le premier des empereurs et des hommes, n’avoue-t-il pas dans ses écrits l’émulation que lui inspirèrent les vertus d’Antonin ? Lorsque Henri IV entendit dans le parlement nommer Louis XII le père du peuple, il se sentit pénétré du désir de l’imiter, et il le surpassa.

Pensez-vous, messieurs, que les honneurs rendus par tant de bouches à la mémoire de Louis XIV ne se soient pas fait entendre au cœur de son successeur, dès sa première enfance ? On dira un jour que tous deux ont été à l’immortalité, tantôt par les mêmes chemins, tantôt par des routes différentes. L’un et l’autre seront semblables, en ce qu’ils n’ont différé à se charger du poids des affaires que par reconnaissance ; et peut-être c’est en cela qu’ils ont été le plus grands. La postérité dira que tous deux ont aimé la justice, et ont commandé leurs armées. L’un recherchait avec éclat la gloire qu’il méritait ; il l’appelait à lui du haut de son trône : il en était suivi dans ses conquêtes, dans ses entreprises ; il en remplissait le monde : il déployait une âme sublime dans le