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À L’ACADÉMIE FRANÇAISE.

putent en public à leur siècle. J’avoue que la gloire de nos armes se soutient mieux que celle de nos lettres ; mais le feu qui nous éclairait n’est pas encore éteint. Ces dernières années n’ont-elles pas produit le seul livre de chronologie dans lequel on ait jamais peint les mœurs des hommes, le caractère des cours et des siècles ? ouvrage qui, s’il était sèchement instructif comme tant d’autres, serait le meilleur de tous, et dans lequel l’auteur[1] a trouvé encore le secret de plaire : partage réservé au très-petit nombre d’hommes qui sont supérieurs à leurs ouvrages.

On a montré la cause du progrès et de la chute de l’empire romain, dans un livre encore plus court, écrit par un génie mâle et rapide[2], qui approfondit tout en paraissant tout effleurer. Jamais nous n’avons eu de traducteurs plus élégants et plus fidèles. De vrais philosophes ont enfin écrit l’histoire. Un homme éloquent et profond[3] s’est formé dans le tumulte des armes. Il est plus d’un de ces esprits aimables, que Tibulle et Ovide eussent regardés comme leurs disciples, et dont ils eussent voulu être les amis. Le théâtre, je l’avoue, est menacé d’une chute prochaine ; mais au moins je vois ici ce génie véritablement tragique[4] qui m’a servi de maître quand j’ai fait quelques pas dans la même carrière ; je le regarde avec une satisfaction mêlée de douleur, comme on voit sur les débris de sa patrie un héros qui l’a défendue. Je compte parmi vous ceux qui ont, après le grand Molière, achevé de rendre la comédie une école de mœurs et de bienséance : école qui méritait chez les Français la considération qu’un théâtre moins épuré eut dans Athènes. Si l’homme célèbre, qui le premier orna la philosophie des grâces de l’imagination, appartient à un temps plus reculé, il est encore l’honneur et la consolation du vôtre[5].

Les grands talents sont toujours nécessairement rares, surtout quand le goût et l’esprit d’une nation sont formés. Il en est alors des esprits cultivés comme de ces forêts où les arbres pressés et élevés ne souffrent pas qu’aucun porte sa tête trop au-dessus des autres. Quand le commerce est en peu de mains, on voit quelques

  1. C’est le président Hénault. Dans quelques traductions de ce discours, on a mis en note l’abbé Lenglet, au lieu de M.  Hénault ; c’est une étrange méprise. (Note de Voltaire.)
  2. Le président de Montesquieu. (Id.)
  3. Le marquis de Vauvenargues, jeune homme de la plus grande espérance, mort à vingt-sept ans. (Id.)
  4. M.  Crébillon, auteur d’Électre et de Rhadamiste. Ces pièces, remplies de traits vraiment tragiques, sont souvent jouées. (Id.)
  5. M.  de Fontenelle. (Note de M.  Decroix.)