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CONSEILS À M. RACINE.

J’omets quelques autres exemples, et je ne veux point entrer dans le détail des vers qu’il faut absolument que l’auteur corrige, parce que je l’estime assez pour croire qu’il les sentira lui-même, ou qu’il consultera quelqu’un de nos académiciens qui ont le plus de goût. Ce n’est pas toujours les poëtes qu’il faut consulter en poésie. M.  Patru était le conseil de M.  Despréaux. Il paraît que M.  Racine ne devait pas s’adresser à Rousseau sur un tel ouvrage. Le peu de nos vers alexandrins que Rousseau a faits prouvent qu’il n’avait pas le goût de ce genre de versification ; et ses épîtres font voir que le raisonnement n’était pas tout à fait de son ressort. En effet, dans ses meilleures épîtres, comme dans celle à Marot, il y a trop de paralogismes ; et celle qu’on vient d’imprimer à la suite du poëme de la Religion n’est pas assurément ce qu’il a fait de mieux en fait de raison et de poésie.

Rousseau, dans cette épître, attaque toujours la secte ancienne qui attribuait tout au hasard. Encore une fois, il ne faut pas se battre contre ces fantômes ; il faut attaquer dans leur fort, mais avec une extrême charité, ces incrédules, lesquels admettent un Dieu tout-puissant et tout bon, qui n’a rien fait que de bien, et qui nous donne la mesure de connaissances et de félicités proportionnée à notre nature ; qui ne peut jamais changer ; qui imprime dans tous les cœurs la loi naturelle ; qui est et qui a toujours été le père de tous les hommes ; n’ayant point de prédilection pour un peuple ; ne regardant point les autres créatures dans sa fureur ; ne nous ayant point donné la raison pour exiger que l’on croie ce que cette raison réprouve ; ne nous éclairant point pour nous aveugler, etc.

Voilà les dogmes monstrueux, voilà les subtilités si évidemment criminelles qu’il fallait détruire ; mais en vérité Rousseau en était-il capable ? en était-il digne ? et le ton d’autorité, le langage des Bourdaloue et des Massillon convenait-il à une bouche souillée de ce que jamais la sodomie et la bestialité ont fourni de plus horrible à la licence ? Quare enarras justitias meas[1] ? Rousseau ne devrait employer le reste de sa vie qu’à demander humblement pardon à Dieu et aux hommes, et non à parler en docteur de ce qui lui était si étranger. Qu’eût-on dit de La Fontaine s’il eût pris le ton sévère pour prêcher la pudeur ? Castigas turpia, turpis. Aussi cette épître de Rousseau est une des plus faibles déclamations, en style marotique, qu’il ait faites depuis son exil de France.

  1. Psaume xlix, v. 16.