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CONSEILS À M. RACINE.

Me dira-t-il pourquoi la tendre sensitive
Se flétrit sous nos mains, honteuse et fugitive ;…..
Pourquoi ce ver changeant se bâtit un tombeau,
S’enterre, et ressuscite avec un corps nouveau,
Et, le front couronné, tout brillant d’étincelles,
S’élance dans les airs en déployant ses ailes ?


Ce même ver, dit M. Racine[1],

Chez ses frères rampants, qu’il méprise aujourd’hui,
Sur la terre autrefois traînant sa vie obscure,
Semblait vouloir cacher sa honteuse figure ;
Mais les temps sont changés ; sa mort fut un sommeil ;
On le vit plein de gloire à son brillant réveil,
Laissant dans le tombeau sa dépouille grossière,
Par un sublime essor voler vers la lumière.

M. Racine a l’esprit trop juste pour ne pas convenir sans peine que ces vers ont encore besoin d’être un peu retouchés. Il ne dit pas précisément ce qu’il doit dire. Il dit : Sa mort fut un sommeil, et il n’a pas parlé auparavant de cette prétendue mort. Les temps sont changés est une expression qui convient aux événements de la fortune, et non pas à un effet physique. On ne doit pas dire d’une mouche qu’elle est pleine de gloire, ni que son essor est sublime. C’est dire mal que de dire trop ; c’est énerver que d’exagérer. Choisissons quelques autres endroits où il se rencontre avec le même auteur.


m. de voltaire.

Demandez à Sylva par quel secret mystère[2]
Ce pain, cet aliment dans mon corps digéré.
Se transforme en un lait doucement préparé ;
Comment, toujours filtré dans ses routes certaines,
En longs ruisseaux de pourpre il court enfler mes veines.

m. racine.

Mais qui donne à mon sang cette ardeur salutaire[3] ?
Sans mon ordre il nourrit ma chaleur nécessaire ;
D’un mouvement égal il agite mon cœur ;
Dans ce centre fécond il forme sa liqueur,
Il vient me réchauffer par sa rapide course.

  1. Chant Ier, 178-84.
  2. Ce premier vers est dans les variantes ; les quatre autres, dans le texte du quatrième Discours sur l’Homme. Voyez tome IX.
  3. Chant Ier, 127-31.