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DES FORCES MOTRICES.


SECONDE PARTIE.
DE LA NATURE DE LA FORCE.

1° Maintenant, s’il est bien prouvé que ce qu’on appelle force motrice est le produit de la simple vitesse par la masse, sera-t-il moins aisé de parvenir à connaître ce que c’est que cette force ?

2° D’abord, si elle est la même dans un corps qui n’est pas eu mouvement, comme dans le bras d’une balance en repos, et dans un corps qui est en mouvement, n’est-il pas clair qu’elle est toujours de même nature, et qu’il n’y a point deux espèces de force, l’une morte et l’autre vive, dont l’une diffère infiniment de l’autre ? à moins qu’on ne dise aussi qu’un liquide est infiniment plus liquide quand il coule que quand il ne coule pas.

3° Si la force n’est autre chose que le produit d’une masse par sa vitesse, ce n’est donc précisément que le corps lui-même, agissant ou prêt à agir avec cette vitesse, La force n’est donc pas un être à part, un principe interne, une substance qui anime les corps, et distinguée des corps, comme quelques philosophes l’ont prétendu.

4° Cette force, qui n’est rien, sinon l’action des corps en mouvement, n’est donc pas primitivement dans des êtres simples qu’on nomme monades, lesquelles ces philosophes disent être sans étendue, et constituer cependant la matière étendue ; et, quand même ces êtres existeraient, il ne paraît pas plus qu’ils puissent avoir une force motrice qu’il ne semble que des zéros puissent former un nombre.

5° Si cette force n’est qu’une propriété, elle est sujette à variations, comme tous les modes de la matière ; et si elle est en même raison que la quantité du mouvement, n’est-il pas clair que sa quantité s’altère si le mouvement augmente ou diminue ?

6° Or il est de fait que la quantité de mouvement augmente toutes les fois qu’un petit corps à ressort en choque un plus grand en repos. Par exemple, le mobile élastique A, qui a 20 de masse et 11 de vitesse, choque B en repos, dont la masse est 200 ; A rejaillit avec une quantité de mouvement de 180, et B marche avec 400.

Ainsi A, qui n’avait que 20 de masse et 11 de vitesse, ou 220 de force, a produit 580. D’un autre côté, il se perd, comme on en convient, beaucoup de mouvement dans le choc des corps inélastiques : donc la force augmente et diminue.