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EXTRAIT DE LA NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE.

que nous annonçons. La plupart des autres livres peuvent former d’honnêtes citoyens ; mais où sont les livres qui forment les rois ? Depuis le sage Antonin, il n’a paru rien de pareil sur la terre. On apprend ailleurs à régler ses mœurs, à vivre en homme sociable ; ici on apprend à régner.

Nous souhaitons que tous les souverains et tous les ministres lisent ce livre, parce que nous souhaitons le bonheur du genre humain, si pourtant la lecture d’un bon livre peut servir à rendre meilleur, et si le poison des cours n’est pas plus fort que cette nourriture salutaire que nous conseillons.

L’avant-propos de l’auteur est écrit avec cette éloquence vraie que le cœur seul peut donner ; en voici un exemple :

« Combien n’est point déplorable la situation des peuples lorsqu’ils ont tout à craindre de l’abus du pouvoir souverain, lorsque leurs biens sont en proie à l’avarice du prince ; leur liberté, à ses caprices ; leur repos, à son ambition ; leur sûreté, à sa perfidie ; et leur vie, à ses cruautés ! C’est là le tableau tragique d’un État où régnerait un prince comme Machiavel prétend le former. »

Ne sent-on pas son cœur ému d’une tendresse respectueuse quand on lit ces paroles, et ne prodiguerait-on pas son sang pour un prince qui penserait ainsi, qui parlerait des souverains comme un particulier, qui serait pénétré de nos mêmes sentiments, qui élèverait ainsi sa voix avec nous pour détester la tyrannie ?

Ce qui nous a étonnés, c’est ce langage si pur, cet usage si singulier d’une langue qui n’est pas, dit-on, celle de l’auteur. Plusieurs morceaux nous ont semblé écrits dans des termes si énergiques ; le mot propre nous a paru si souvent employé, et si souvent mis à sa place, que nous avons douté quelque temps que l’ouvrage fût d’un étranger. Pour nous en instruire, nous avons consulté l’éditeur lui-même, et nous avons vu entre ses mains la preuve évidente que ces traits dont nous parlons sont en effet de la main respectable dont nous doutions.

L’Essai de critique sur Machiavel a autant de chapitres que l’ouvrage de cet Italien, intitulé le Prince ; mais ce n’est pas une réfutation continuelle : ce sont souvent des réflexions à l’occasion de celles de l’Italien ; ce sont mille exemples tirés de l’histoire ancienne et moderne ; c’est un raisonnement fort et suivi ; c’est partout la vertu la plus pure, partout la preuve que la meilleure politique est d’être vertueux.

Une de ces choses qui nous a le plus frappés, c’est ce que nous avons trouvé au chapitre iii :

« Si aujourd’hui, parmi les chrétiens, il y a moins de révolu-