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EXPOSITION DU LIVRE

Un newtonien sera encore assez fort s’il prie seulement un leibnitzien de faire un moment d’attention à ce que nous sommes et à ce qui nous environne. Nous pensons, nous éprouvons des sensations, nous mettons des corps en mouvement, les corps agissent sur nos âmes, etc. Quelle raison suffisante, je vous prie, me trouverez-vous de ce que la matière influe sur ma pensée, et ma pensée sur elle ? Quel milieu y a-t-il entre mon âme et une corde de clavecin qui résonne ? Quelle cause a-t-on jamais pu alléguer de ce que l’air frappé donne à une âme l’idée et le sentiment du son ? N’êtes-vous pas forcé d’avouer que Dieu l’a voulu ainsi ? Que ne vous soumettez-vous de même quand Newton démontre que Dieu a donné à la matière la propriété de la gravitation ?

Lorsqu’on aura trouvé quelque bonne raison mécanique de cette propriété, on rendra service aux hommes en la publiant ; mais depuis soixante et dix ans que les plus grands philosophes cherchent cette cause, ils n’ont rien trouvé. Tenons-nous-en donc à l’attraction, jusqu’à ce que Dieu en révèle la raison suffisante à quelque leibnitzien.

Les découvertes de Galilée et d’Huygens sont expliquées ici avec une clarté qui, fait bien voir que ce ne sont point là des hypothèses, lesquelles laissent toujours l’esprit égaré et incertain, mais des vérités mathématiques qui entraînent la conviction.

Je me hâte de venir à ce dernier chapitre. On y prête de nouvelles armes au sentiment de Leibnitz : c’est Camille qui vient au secours de Turnus, ou Minerve au secours d’Ulysse. Cette dispute sur les forces actives, qui partage aujourd’hui l’Europe, n’a jamais exercé de plus illustres mains qu’aujourd’hui. La dame respectable dont je parle, et Mme  la princesse de Columbrano, ont toutes deux suivi l’étendard de Leibnitz, non pas comme les femmes prennent d’ordinaire parti pour des théologiens, par faiblesse, par goût, et avec une opiniâtreté fondée sur leur ignorance, et souvent sur celle de leurs maîtres ; elles ont écrit l’une et l’autre en mathématiciennes, et toutes deux avec des vues nouvelles. Il n’est ici question que du chapitre de notre illustre Française : c’est un des plus forts et des plus séduisants de cet ouvrage profond.

Pour mettre les lecteurs au fait, il est bon de dire ici que nous appelons force d’un corps en mouvement l’action de ce corps : c’est sa masse qui agit, c’est avec de la vitesse qu’agit cette masse, c’est dans un temps plus ou moins long qu’agit cette vitesse ; ainsi on a toujours supputé la force motrice des corps par leur masse multipliée par leur vitesse appliquée au temps. Une puissance qui presse et donne une vitesse à un corps lui donne une force