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DES INSTITUTIONS PHYSIQUES.

prendre qu’un composé n’eût rien de son composant ; cette difficulté ne l’arrêta pas : il se servit de la comparaison d’une montre. Ce qui compose une horloge n’est pas horloge : donc ce qui compose la matière n’est pas matière. Peut-être quelqu’un lui dit alors : Votre comparaison de l’horloge n’est guère concluante, car vous savez bien de quoi une horloge est composée, puisque vous l’avez vu faire ; mais vous n’avez point vu faire la matière ; et c’est un point sur lequel il ne vous est pas trop permis de deviner.

Leibnitz ayant donc créé ses êtres simples, ses monades, il les distribua en quatre classes : il donna aux unes la perception par un seul P, et aux autres la perception par deux PP. Il dit que chaque monade est un miroir concentrique de l’univers. Il veut que chaque monade ait un rapport avec tout le reste du monde ; ainsi on a proposé ce problème à résoudre : Un élément étant donné, en déterminer l’état présent, passé et futur de l’univers. Ce problème est résolu par Dieu seul. On pourrait encore ajouter que Dieu seul sait la solution de la plupart de nos questions : lui seul sait quand et pourquoi il créa le monde ; pourquoi il fit tourner les astres d’un certain côté ; pourquoi il fit un nombre déterminé d’espèces ; pourquoi les anges ont péché ; ce que c’est que la matière et l’esprit ; ce que c’est que l’âme des animaux ; comment le mouvement et la force motrice se communiquent ; ce que c’est originairement que cette force ; ce que c’est que la vie ; comment on digère ; comment on dort, etc.

L’aimable et respectable auteur des Institutions physiques a bien senti l’inconvénient du système des monades, et elle dit, page 143, qu’il a besoin d’être éclairci et d’être sauvé du ridicule. Il n’y a a eu encore ni aucun Français, ni aucun Anglais, ni, je crois, aucun Italien, qui ait adopté ces idées étrangères. Plusieurs Allemands les ont soutenues ; mais il est à croire que c’est pour exercer leur esprit, et par jeu plutôt que par conviction.

J’ajouterai ici que, pour rendre le roman complet, Leibnitz imagina que, notre corps étant composé d’une infinité de monades d’une espèce, la monade de notre âme est d’une autre espèce ; que notre âme n’agit aucunement sur notre corps, ni le corps sur elle ; que ce sont deux automates qui vont chacun à part, à peu près comme dans certains sermons burlesques un homme prêche tandis que l’autre fait des gestes ; qu’ainsi, par exemple, la main de Newton écrivit mécaniquement le calcul des fluxions, tandis que sa monade était montée séparément pour penser au calcul : cela s’appelle l’harmonie préétablie, et l’auteur des Institutions