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EXPOSITION DU LIVRE

des hypothèses. Si on appelle hypothèses des recherches de la vérité, il en faut sans doute. Je veux savoir combien de fois 15 est contenu dans 200 : je fais l’hypothèse de 14, et c’est trop ; je fais celle de 13, et c’est trop peu ; j’ajoute un reste à 13, et je trouve mon compte. Voilà deux recherches, et je ne me suis exposé sur aucune avant que j’aie découvert la vérité. Mais supposer l’harmonie préétablie des monades, un enchaînement des choses avec lequel on veut rendre raison de tout, n’est-ce pas bâtir des hypothèses pires que les tourbillons de Descartes et ses trois éléments ? Il faut faire en physique comme en géométrie : chercher la solution des problèmes, et ne croire qu’aux démonstrations.

La question de l’espace n’a peut-être jamais été traitée avec plus de profondeur. On veut ici, avec Leibnitz, qu’il n’y ait point d’espace pur ; que par conséquent toute étendue soit matière ; qu’ainsi la matière remplisse tout, etc. Leibnitz avait commencé autrefois par admettre l’espace ; mais depuis qu’il fut le second inventeur des fluxions, il nia la réalité de l’espace, que Newton reconnaissait.

« L’idée de l’espace, dit-on dans ce chapitre, vient de ce qu’on fait uniquement attention à la manière des êtres d’exister l’un hors de l’autre, et qu’on se représente que cette coexistence de plusieurs êtres produit un certain ordre ou ressemblance dans leur manière d’exister ; en sorte qu’un de ces êtres étant pris pour le premier, un autre devient le second ; un autre, le troisième. »

C’est ainsi que le célèbre professeur Wolf éclaircit les idées simples.

Le sage Locke s’était contenté de dire : « J’avoue que j’ai acquis l’idée de l’espace par la vue et par le toucher. »

La question est de savoir s’il y a un espace pur ou non. Descartes avança que la matière est infinie, et que le vide est impossible. Si cela était, Dieu ne peut donc anéantir un pouce de matière : car alors il y aurait un pouce de vide. Or il est assez extraordinaire de dire que celui qui a créé une matière infinie ne peut en anéantir un pouce. Les sectateurs de Descartes n’ayant jamais répondu à cet argument, Leibnitz fortifia d’un autre côté cette opinion, qui croulait de côté-là.

Il dit que, si le monde a été créé dans l’espace pur, il n’y a pas de raison suffisante pourquoi ce monde est dans telle partie de l’espace plutôt que dans une autre ; mais il paraît que Leibnitz n’a pas songé que dans le plein n’y a pas plus de raison suffisante