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DES INSTITUTIONS PHYSIQUES.

Le second principe de Leibnitz est qu’il n’y a et ne peut y avoir dans la nature deux choses entièrement semblables. Sa preuve de fait était que, se promenant un jour dans le jardin de l’évêque de Hanovre, on ne put jamais trouver deux feuilles d’arbre indiscernables. Sa preuve de droit était que, s’il y avait deux choses semblables dans la nature, il n’y aurait pas de raison suffisante pourquoi l’une serait à la place de l’autre. Il voulait donc que le plus petit de tous les corps imaginables fût infiniment différent de tout autre corps. Cette idée est grande ; il paraît qu’il n’y a qu’un Être tout-puissant qui ait pu faire des choses infinies infiniment différentes. Mais aussi il paraît qu’il n’y a qu’un Être tout-puissant qui puisse faire des choses infiniment semblables, et peut-être les premiers éléments des choses doivent-ils être ainsi : car comment les espèces pourraient-elles être reproduites éternellement les mêmes si les éléments qui les composent étaient absolument différents ? Comment, par exemple, s’il y avait une différence absolue entre chaque élément de l’or et du mercure, l’or et le mercure auraient-ils un certain poids qui ne varie jamais ? La proposition de Leibnitz est ingénieuse et grande, la proposition contraire est aussi vraisemblable pour le moins que la sienne. Tel a toujours été le sort de la métaphysique : on commence par deviner, on passe beaucoup de temps à disputer, et on finit par douter.

La loi de continuité est un principe de Leibnitz sur lequel l’illustre auteur a plus insisté que sur les autres, parce qu’en effet il y a des cas où ce principe est d’une vérité incontestable. La géométrie, et la physique, qui est appuyée sur elle, font voir que dans les directions des mouvements il faut toujours passer par une infinité de degrés ; et c’est même le fondement du calcul des fluxions, inventé par Newton et publié par Leibnitz.

Newton a montré le premier que l’incrément naissant d’une quantité mathématique est moindre que la plus petite assignable, et que ces quantités peuvent augmenter par des degrés infinis jusqu’à une telle quantité qui soit plus grande qu’aucune assignable : voilà ce qu’on appelle les fluxions.

Je demanderai seulement si, avant que l’incrément naissant commence à exister, il y a de la continuité. N’y a-t-il pas une distance infinie entre exister et n’exister pas ?

Je ne vois guère de cas où la loi de continuité ait lieu que dans le mouvement : il me semble que c’est là seulement que cette loi est observée à la rigueur, car peut-être ne pouvons-nous dire que très-improprement qu’un morceau de matière est continu ;