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EXPOSITION DU LIVRE

de l’esprit, c’est en avoir naturellement plus qu’on n’en connaisse à personne. Ce n’est pas vouloir écrire mieux qu’un autre, c’est ne pouvoir écrire que mille fois mieux : elle est la seule dont on a voie la gloire sans envie. »

On gâterait un tel éloge si on voulait y ajouter ; on se bornera donc ici à rendre compte de cet ouvrage, moins encore pour le plaisir d’en parler que pour celui d’en faire une étude nouvelle.

Les idées métaphysiques de Leibnitz sont l’objet des premiers chapitres. C’est une philosophie qui jusqu’ici n’a guère eu cours qu’en Allemagne, et qui a été commentée plutôt qu’éclaircie. Leibnitz avait répandu dans sa Théodicée et dans les Actes de Leipsick quelques idées de ses systèmes. Le célèbre professeur Wolf a déjà fait dix volumes in-4° sur ces matières ; et les Institutions de physique paraissent expliquer tout ce que Leibnitz avait resserré, et contenir tout ce que Wolf a étendu.

Le premier principe qu’on éclaircit avec méthode et sans longueur dans le livre des Institutions physiques est celui de la raison suffisante.

Depuis que les hommes raisonnent, ils ont toujours avoué qu’il n’y a rien sans cause. Leibnitz a inventé, dit-on, un autre principe de nos connaissances bien plus étendu : c’est qu’il n’y a rien sans raison suffisante. Si par raison suffisante d’une chose l’on entend ce qui fait que cette chose est ainsi plutôt qu’autrement, j’avoue que je ne vois pas ce que Leibnitz a découvert. Si par raison suffisante Leibnitz a entendu que nous devons toujours rendre une raison suffisante de tout, il me semble qu’il a exigé un peu trop de la nature humaine. J’imagine qu’il eût été embarrassé lui-même si on lui avait demandé pourquoi les planètes tournent d’occident en orient plutôt qu’en sens contraire ; pourquoi telle étoile est à une telle place dans le ciel, etc.

Ainsi il me paraît que le principe de la raison suffisante n’est autre chose que celui des premiers hommes : il n’y a rien sans cause. Reste à savoir si Leibnitz a connu des causes suffisantes qu’on avait ignorées avant lui[1].

  1. Leibnitz prétendait qu’il n’y avait aucun phénomène de la nature qui fût l’ouvrage du hasard ou de la volonté sans motif de l’Être suprême ; mais que chacun avait une raison suffisante de son existence, soit dans la nature même des choses, soit dans la perfection de l’ordre général de l’univers ; voilà ce qu’il a soutenu, mais ce qu’il n’a pas prouvé : il a essayé d’en donner des preuves métaphysiques ; mais il est aisé de voir qu’elles supposent une connaissance de l’essence divine, que nous ne pouvons avoir. Quant aux preuves de fait, il faudrait pouvoir assigner d’une manière claire la raison suffisante de tous ou de presque tous les phénomènes : alors ce principe pourrait devenir du moins très-probable. (K.)