remarquer ce que l’œil inattentif n’y voit pas. Peindre des objets inconnus à beaucoup de monde, c’est manquer son but. Peu de personnes peuvent les saisir ou les sentir, à moins qu’ils ne soient si vastes qu’on ne puisse s’empêcher de les voir.
Quant à l’expression, il faut avoir grande attention au mot et au tour le plus propre. Il n’y en a qu’une pour bien rendre une idée ; il la faut nette et forte ; choisir des verbes de mouvement ; avoir attention de varier ses tours ; conserver l’harmonie ; ne prendre que des syllabes pleines, et ne pas faire de trop fortes inversions ; avoir encore égard à la liaison du mot et du tour ; travailler chacune des parties de toutes les forces de son esprit, en l’y appliquant successivement.
Dans les arts du génie, surtout en poésie, le meilleur moyen d’y être habile est, dans les premières pièces qu’on fait, de les recommencer jusqu’à ce qu’elles soient parfaites. On en tire l’avantage de se bien pénétrer de son sujet, de l’envisager sous ses formes les plus heureuses, et d’apprendre toutes les règles de la perfection, dont on ne déchoit guère après, quand elles sont tournées en principes habituels.
Il faut encore examiner si un sujet est susceptible d’invention, et ne pas l’en croire dépourvu parce qu’il n’aura pas cédé au premier effort. Dans une épître souvent elle n’a pas lieu ; mais c’est la première partie dans le poëme épique et la tragédie.
Le choix du sujet dans les ouvrages est bien important. Plusieurs mémoires et plaidoyers d’avocats célèbres sont des chefs-d’œuvre : on ne les lit plus ; ils n’intéressent personne. En poésie didactique, il faut prouver d’une manière neuve des choses non-seulement que les hommes ont intérêt à savoir ; mais il est bien plus heureux d’avoir à leur prouver ce qu’ils pensent déjà, c’est-à-dire ce qui est bon au plus grand nombre.