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SOMMAIRES DES PIÈCES DE MOLIÈRE.

que la précédente. Il n’y a qu’un seul nœud dans le Dépit amoureux. Il est vrai qu’on a trouvé le déguisement d’une fille en garçon peu vraisemblable. Cette intrigue a le défaut d’un roman, sans en avoir l’intérêt ; et le cinquième acte, employé à débrouiller ce roman, n’a paru ni vif ni comique. On a admiré dans le Dépit amoureux la scène de la brouillerie et du raccommodement d’Éraste et de Lucile. Le succès est toujours assuré, soit en tragique, soit en comique, à ces sortes de scènes qui représentent la passion la plus chère aux hommes dans la circonstance la plus vive. La petite ode d’Horace, Donec gratus eram tibi[1] a été regardée comme le modèle de ces scènes, qui sont enfin devenues des lieux communs.


LES PRÉCIEUSES RIDICULES,
Comédie en un acte et en prose, jouée d’abord en province[2], et représentée pour la première fois à Paris, sur le théâtre du Petit-Bourbon, au mois de novembre[3] 1659.

Lorsque Molière donna cette comédie, la fureur du bel esprit était plus que jamais à la mode. Voiture avait été le premier en France qui avait écrit avec cette galanterie ingénieuse dans laquelle il est si difficile d’éviter la fadeur et l’affectation. Ses ouvrages, où il se trouve quelques vraies beautés avec trop de faux brillants, étaient les seuls modèles ; et presque tous ceux qui se piquaient d’esprit n’imitaient que ses défauts. Les romans de Mlle  Scudéri avaient achevé de gâter le goût : il régnait dans la plupart des conversations un mélange de galanterie guindée, de sentiments romanesques et d’expressions bizarres, qui composaient un jargon nouveau, inintelligible, et admiré. Les provinces, qui outrent toutes les modes, avaient encore renchéri sur ce ridicule : les femmes qui se piquaient de cette espèce de bel esprit s’appelaient précieuses. Ce nom, si décrié depuis par la pièce de Molière, était alors honorable ; et Molière même dit dans sa préface qu’il a beaucoup de respect pour les véritables précieuses, et qu’il n’a voulu jouer que les fausses.

Cette petite pièce, faite d’abord pour la province, fut applaudie à Paris, et jouée quatre mois de suite. La troupe de Molière fit

  1. Livre III, ode ix, vers 1.
  2. Nous avons déjà dit qu’il est fort douteux que les Précieuses aient été jouées d’abord en province.
  3. Le 18.