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DE M. PASCAL.

Cela est très-faux : on ne doit pas dire beauté géométrique, ni beauté médicinale, parce qu’un théorème et une purgation n’affectent point les sens agréablement, et qu’on ne donne le nom de beauté qu’aux choses qui charment les sens, comme la musique, la peinture, la poésie, l’architecture régulière, etc. La raison qu’apporte M. Pascal est tout aussi fausse : on sait très-bien en quoi consiste l’objet de la poésie ; il consiste à peindre avec force, netteté, délicatesse, et harmonie ; la poésie est l’éloquence harmonieuse. Il fallait que M. Pascal eût bien peu de goût pour dire que fatal laurier, bel astre, et autres sottises, sont des beautés poétiques ; et il fallait que les éditeurs de ces pensées fussent des personnes bien peu versées dans les belles-lettres, pour imprimer une réflexion si indigne de son illustre auteur[1].

 LVII. On ne passe point dans le monde pour se connaître en vers, si l’on n’a mis l’enseigne de poëte, ni pour être habile en mathématiques, si l’on n’a mis celle de mathématicien ; mais les vrais honnêtes gens ne veulent point d’enseigne[2].

À ce compte il serait donc mal d’avoir une profession, un talent marqué, et d’y exceller ? Virgile, Homère, Corneille, Newton, le marquis de L’Hospital, mettaient une enseigne. Heureux celui qui réussit dans un art, et qui se connaît aux autres !

  1. Les huit remarques qui suivent (LVII à LXIV) ont paru pour la première fois en 1742 ; elles étaient numérotées LVIII à LXV, parce qu’on avait conservé dans cette édition de 1742 la remarque qui portait, en 1734, le n° XLV.
  2. Cette pensée est curieuse ; elle prouve que les talents, même distingués, avilissaient alors dans l’opinion, lorsqu’on s’y livrait hautement et sans mystère. Le président de Ris craignait que le nom d’auteur ne fût une tache dans sa famille ; et Pascal est presque de l’avis du président de Ris ; il ne mettait pas son nom à ses livres, parce qu’il trouvait cela trop bourgeois. (K.) — Voltaire et Condorcet ont raisonné sur un texte qui n’est pas exact. Pascal a écrit : On ne passe point dans le monde pour se connaître en vers, si l’on n’a mis l’enseigne de poëte, de mathématicien, etc. Mais les gens universels ne veulent point d’enseigne, et ne mettent guère de différence entre le métier de poëte et celui de brodeur. — Voyez, à propos du président de Ris, tome XIV, l’article Charleval, dans le Catalogue des écrivains, en tête du Siècle de Louis XIV.