La solution de ce problème est bien aisée. On vit des effets physiques extraordinaires ; des fripons les firent passer pour des miracles. On vit des maladies augmenter dans la pleine lune, et des sots crurent que la fièvre était plus forte parce que la lune était pleine. Un malade qui devait guérir se trouva mieux le lendemain qu’il eut mangé des écrevisses, et on conclut que les écrevisses purifiaient le sang parce qu’elles sont rouges étant cuites.
Il me semble que la nature humaine n’a pas besoin du vrai pour tomber dans le faux. On a imputé mille fausses influences à la lune, avant qu’on imaginât le moindre rapport véritable avec le flux de la mer. Le premier homme qui a été malade a cru, sans peine, le premier charlatan. Personne n’a vu de loups-garous ni de sorciers, et beaucoup y ont cru ; personne n’a vu de transmutation de métaux, et plusieurs ont été ruinés par la créance de la pierre philosophale. Les Romains, les Grecs, les païens, ne croyaient-ils donc aux faux miracles dont ils étaient inondés que parce qu’ils en avaient vu de véritables ?
Dans cette seule maxime reçue de toutes les nations : Ne faites pas à autrui ce que vous ne voudriez pas qu’on vous fît.
C’est des Catalans que Tacite a dit en exagérant : « Ferox gens nullam esse vitam sine armis putat ; ce peuple féroce croit que ne pas combattre c’est ne pas vivre. » Mais il n’y a point de nation dont on ait dit, et dont on puisse dire : « Elle aime mieux la mort que la guerre[1]. »
- ↑ Dans les éditions antérieures à 1756, on lit seulement : « C’est des Catalans que Tacite a dit cela ; mais il n’y en a point dont on ait dit et dont on puisse dire : Elle aime mieux la mort que la guerre. »