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REMARQUES SUR LES PENSÉES

Il est certain que la sainte Écriture, en matière de physique, s’est toujours proportionnée aux idées reçues ; ainsi elle suppose que la terre est immobile, que le soleil marche, etc., etc. Ce n’est point du tout par un raffinement d’astronomie qu’elle dit que les étoiles sont innombrables[1], mais pour s’abaisser aux idées vulgaires. En effet, quoique nos yeux ne découvrent qu’environ mille vingt-deux étoiles, et encore avec bien de la peine, cependant, quand on regarde le ciel fixement, la vue est éblouie et égarée ; on croit alors en voir une infinité. L’Écriture parle donc selon ce préjugé vulgaire, car elle ne nous a pas été donnée pour faire de nous des physiciens ; et il y a grande apparence que Dieu ne révéla ni à Habacuc, ni à Baruch, ni à Michée, qu’un jour un Anglais nommé Flamsteed[2] mettrait dans son catalogue près de trois mille étoiles aperçues avec le télescope. Voyez, je vous prie, quelle conséquence on tirerait du sentiment de Pascal. Si les auteurs de la Bible ont parlé du grand nombre des étoiles en connaissance de cause, ils étaient donc inspirés sur la physique. Et comment de si grands physiciens ont-ils pu dire que la lune s’est arrêtée à midi sur Aïalon, et le soleil sur Gabaon dans la Palestine[3] ; qu’il faut que le blé pourrisse pour germer et produire[4] et cent autres choses semblables ? Concluons donc que ce n’est pas la physique, mais la morale qu’il faut chercher dans la Bible ; qu’elle doit faire des chrétiens, et non des philosophes.

 XXXIII. (XXXII.) Est-ce courage à un homme mourant d’aller, dans la faiblesse et dans l’agonie, affronter un Dieu tout-puissant et éternel ?

Cela n’est jamais arrivé ; et ce ne peut être que dans un violent transport au cerveau qu’un homme dise : Je crois un Dieu, et je le brave.

 XXXIV. (XXXIII.) Je crois volontiers les histoires dont les témoins se font égorger[5].

La difficulté n’est pas seulement de savoir si on croira des témoins qui meurent pour soutenir leur déposition, comme ont

  1. Genèse, chap. xv, 5.
  2. Célèbre astronome, né en 1646, mort en 1719. Son catalogue mentionne 2,866 étoiles.
  3. Josué, chap. x, verset 12.
  4. Saint Paul, Corinth., chap. xv, verset 36 ; et saint Jean, chap. xii, verset 24.
  5. Voici l’expression exacte de cette fameuse pensée : Je ne crois que les histoires dont les témoins se feraient égorger.