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DE M.  PASCAL.

avec quel mépris et avec quelle indignation ne traitez-vous pas les oracles des païens, parce qu’ils avaient deux sens ! Qu’une prophétie soit accomplie à la lettre, oserez-vous soutenir que cette prophétie est fausse, parce qu’elle ne sera vraie qu’à la lettre, parce qu’elle ne répondra pas à un sens mystique qu’on lui donnera ? Non, sans doute ; cela serait absurde. Comment donc une prophétie qui n’aura pas été réellement accomplie deviendra-t-elle vraie dans un sens mystique ? Quoi ! de vraie vous ne pouvez la rendre fausse, et de fausse vous pourriez la rendre vraie ? voilà une étrange difficulté. Il faut s’en tenir à la foi seule dans ces matières ; c’est le seul moyen de finir toute dispute.


XVI. La distance infinie des corps aux esprits figure la distance infiniment plus infinie des esprits à la charité : car elle est surnaturelle.


Il est à croire que M.  Pascal n’aurait pas employé ce galimatias dans son ouvrage, s’il avait eu le temps de le revoir.


XVII. Les faiblesses les plus apparentes sont des forces à ceux qui prennent bien les choses : par exemple, les deux généalogies de saint Matthieu et de saint Luc. Il est visible que cela n’a pas été fait de concert.


Les éditeurs des Pensées de Pascal auraient-ils dû imprimer cette pensée, dont l’exposition seule est peut-être capable de faire tort à la religion ? À quoi bon dire que ces généalogies, ces points fondamentaux de la religion chrétienne, se contrarient entièrement, sans dire en quoi elles peuvent s’accorder ? Il fallait présenter l’antidote avec le poison. Que penserait-on d’un avocat qui dirait : Ma partie se contredit, mais cette faiblesse est une force pour ceux qui savent bien prendre les choses ? Que dirait-on à deux témoins qui se contrediraient ? On leur dirait : Vous n’êtes pas d’accord, et certainement l’un de vous deux se trompe.


XVIII. Qu’on ne nous reproche donc plus le manque de clarté, puisque nous en faisons profession ; mais que l’on reconnaisse la vérité de la religion dans l’obscurité même de la religion, dans le peu de lumière que nous en avons, et dans l’indifférence que nous avons de la connaître.


Voilà d’étranges marques de vérité qu’apporte Pascal. Quelles autres marques a donc le mensonge ? Quoi ! il suffirait, pour être cru, de dire : Je suis obscur, je suis inintelligible. Il serait bien plus sensé de ne présenter aux yeux que les lumières de la foi, au lieu de ces ténèbres d’érudition.