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DE LA PÉRIODE.


Le langage vulgaire, en fait d’astronomie, n’est qu’une contre-vérité perpétuelle. On dit que les étoiles font leur révolution sur l’équateur ; que le soleil chaque jour tourne avec elles autour de la terre d’orient en occident ; que cependant les étoiles, par un

    ce philosophe instruit par les sages de l’Asie, parlait au nom de tous les philosophes d’Orient, lorsqu’il disait :

    Nil equidem durare diu sub imagine cadem
    Crediderim. Sic ad ferrum venistis ab auro,
    Sæcula. Sic toties versa es, fortuna locurum.
    Vidi ego, quod fuorat quondam solidissima tollus
    Esse fretum ; vidi factas ex æquore terras ;
    Et procul a pelago conchæ jacuere marinæ ;
    Quodque fuit campus, vallem decursus aquarum
    Fecit ; et cluvie mons est deductus in æquor,
    Eque paludosa siccis humus aret arenis.


    « On peut rendre ainsi le sens de ces vers :

    Le Temps qui donne à tout le mouvement et l’être,
    Produit, accroît, détruit, fait mourir, fait renaître,
    Change tout dans les cieux, sur la terre et dans l’air ;
    L’âge d’or à son tour suivra l’Âge de fer :
    Flore embellit des champs l’aridité sauvage ;
    La mer change son lit, son flux et son rivage ;
    Le limon qui nous porte est né du sein des eaux ;
    Le Caucase est semé du débris des vaisseaux ;
    Bientôt la main du Temps aplanit les montagnes,
    Il creuse les vallons, il étend les campagnes ;
    Tandis que l’Éternel, le souverain des temps,
    Est seul inébranlable en ces grands changements.

    « Voilà quelle était l’opinion de l’Orient, et ce n’est pas lui faire tort de la rapporter en vers, ancien langage de la philosophie.

    « À ces témoignages que la nature donne de tant de révolutions qui ont changé la face de la terre se joignait cette idée des anciens Égyptiens, peuple autrefois géomètre et astronome, avant que la superstition et la mollesse en eussent fait un peuple méprisable : cette idée était que le soleil s’était levé pendant des siècles à l’occident ; il est vrai que c’était une tradition aussi obscure que les hiéroglyphes. Hérodote, qu’on peut regarder comme un auteur trop récent, et par conséquent de trop peu de poids à l’égard de telles antiquités, rapporte au livre d’Euterpe que, selon les prêtres égyptiens, le soleil, dans l’espace de onze mille trois cent quarante ans (et les années des Égyptiens étaient de 365 jours), s’était levé deux fois où il se couche, et s’était couché deux fois où il se lève, sans qu’il y eût eu le moindre changement en Égypte, malgré cette variation du cours du soleil.

    « Ou les prêtres qui avaient raconté cet événement à Hérodote s’étaient bien mal expliqués, ou Hérodote les avait bien mal entendus. Car que le soleil eût changé son cours, c’était une tradition qui pouvait être probable pour des philosophes ; mais qu’en onze mille et quelques années les points cardinaux eussent changé deux fois, cela était impossible. Ces deux révolutions, comme nous l’allons voir, ne pourraient s’opérer qu’en près de quatre millions d’années. La révolution entière des pôles de l’écliptique ou de l’équateur s’achève en près de 1,944,000 années, et cette révolution de l’écliptique peut seule, à l’aide du mouvement journalier de la terre, tourner notre globe successivement à l’orient, au midi, à l’occident, au septentrion. Ainsi ce n’est que dans une période de deux