Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome22.djvu/56

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
38
REMARQUES SUR LES PENSÉES

une grande majesté. Cette génération ne passera pas que ces choses ne soient accomplies. »

Cependant la génération passa, et ces choses ne s’accomplirent point. En quelque temps que saint Luc ait écrit, il est certain que Titus prit Jérusalem, et qu’on ne vit ni de signes dans les étoiles, ni le fils de l’homme dans les nuées. Mais enfin si ce second avènement n’est point arrivé, si cette prédiction ne s’est point accomplie, c’est à nous de nous taire, de ne point interroger la Providence, et de croire tout ce que l’Église enseigne.


XIV. Le messie, selon les Juifs charnels, doit être un grand prince temporel ; selon les chrétiens charnels, il est venu nous dispenser d’aimer Dieu, et nous donner des sacrements qui opèrent tout sans nous : ni l’un ni l’autre n’est ni la religion chrétienne ni juive.


Cet article est bien plutôt un trait de satire qu’une réflexion chrétienne. On voit que c’est aux jésuites qu’on en veut ici ; mais en vérité aucun jésuite a-t-il jamais dit que Jésus-Christ est venu nous dispenser d’aimer Dieu ? La dispute sur l’amour de Dieu est une pure dispute de mots, comme la plupart des autres querelles scientifiques qui ont causé des haines si vives et des malheurs si affreux.

Il paraît encore un autre défaut dans cet article : c’est qu’on y suppose que l’attente d’un messie était un point de religion chez les Juifs ; c’était seulement une idée consolante répandue parmi cette nation. Les Juifs espéraient un libérateur, mais il ne leur était pas ordonné d’y croire comme article de foi. Toute leur religion était renfermée dans les livres de la loi. Les prophètes n’ont jamais été regardés par les Juifs comme législateurs.


XV. Pour examiner les prophéties, il faut les entendre : car si l’on croit qu’elles n’ont qu’un sens, il est sûr que le messie ne sera point venu ; mais si elles ont deux sens, il est sûr qu’il sera venu en Jésus-Christ.


La religion chrétienne, fondée sur la vérité même, n’a pas besoin de preuves douteuses. Or, si quelque chose pouvait ébranler les fondements de cette sainte et raisonnable religion, c’est le sentiment de M.  Pascal. Il veut que tout ait deux sens dans l’Écriture ; mais un homme qui aurait le malheur d’être incrédule pourrait lui dire : Celui qui donne deux sens à ses paroles veut tromper les hommes, et cette duplicité est toujours punie par les lois ; comment donc pouvez-vous, sans rougir, admettre dans Dieu ce qu’on punit et qu’on déteste dans les hommes ? Que dis-je ?