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PLANÈTES ATTIRÉES.

ligne courbe tend à s’éloigner de son centre en une ligne droite qui toucherait la courbe en un point. Telle est la fronde qui s’échappe de la main, etc.

Tous les corps, en tournant avec la terre, font ainsi un effort pour s’éloigner du centre ; mais la matière subtile, faisant un bien plus grand effort, repousse, disait-on, tous les autres corps.

Il est aisé de voir que ce n’était point à la matière subtile à faire ce plus grand effort, et à s’éloigner du centre du tourbillon prétendu plutôt que les autres corps ; au contraire, c’était sa nature (supposé qu’elle existât) d’aller au centre de son mouvement, et de laisser aller à la circonférence tous les corps qui auraient eu plus de masse. C’est en effet ce qui arrive sur une table qui tourne en rond, lorsque, dans un tube pratiqué dans cette table, on a mêlé plusieurs poudres et plusieurs liqueurs de pesanteurs spécifiques différentes : tout ce qui a plus de masse s’éloigne du centre ; tout ce qui a moins de masse s’en approche. Telle est la loi de la nature, et lorsque Descartes a fait circuler à la circonférence sa prétendue matière subtile, il a commencé par violer cette loi des forces centrifuges, qu’il posait pour son premier principe. Il a eu beau imaginer que Dieu avait créé des dés tournant les uns sur les autres ; que la raclure de ces dés, qui faisait sa matière subtile, s’échappant de tous les côtés, acquérait par là plus de vitesse ; que le centre d’un tourbillon s’encroûtait, etc. ; il s’en fallait bien que ces imaginations rectifiassent cette erreur.

Sans perdre plus de temps à combattre ces êtres de raison, suivons les lois de la mécanique qui opère dans la nature. Un corps qui se meut circulairement prend en cette manière, à chaque point de la courbe qu’il décrit, une direction qui l’éloignerait du cercle, en lui faisant suivre une ligne droite.

Cela est vrai. Mais il faut prendre garde que ce corps ne s’éloignerait ainsi du centre que par cet autre grand principe : que tout corps étant indifférent de lui-même au repos et au mouvement, et ayant cette inertie qui est un attribut de la matière, suit nécessairement la ligne dans laquelle il est mû. Or, tout corps qui tourne autour d’un centre suit à chaque instant une ligne droite infiniment petite, qui deviendrait une droite infiniment longue s’il ne rencontrait point d’obstacles. Le résultat de ce principe, réduit à sa juste valeur, n’est donc autre chose, sinon qu’un corps qui suit une ligne droite suivra toujours une ligne droite : donc il faut une autre force pour lui faire décrire une courbe ; donc cette autre force, par laquelle il décrit la courbe, le ferait tomber au centre à chaque instant, en cas que ce mou-