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TROISIÈME PARTIE. — CHAPITRE II.

5° On a voulu éluder la force de cette démonstration, mais on ne peut répondre à une démonstration que par une erreur. On prétend que ce torrent infini de matière subtile, pénétrant tous les pores des corps, ne peut en arrêter le mouvement. On ne fait pas réflexion que tout mobile qui se meut dans un fluide éprouve d’autant plus de résistance qu’il oppose plus de surface à ce fluide ; or, plus un corps a de trous, plus il a de surface : ainsi la prétendue matière subtile, en choquant tout l’intérieur d’un corps, s’opposerait bien davantage au mouvement de ce corps qu’en ne touchant que sa superficie extérieure ; et cela est encore démontré en rigueur.

6° Dans le plein, tous les corps seraient également pesants ; il est impossible de concevoir qu’un corps pèse sur moi, me presse ; que par sa masse une livre de poudre d’or pèse autant sur ma main qu’un morceau d’or d’une livre. En vain les cartésiens répondent que la matière subtile pénétrant les interstices des corps ne pèse point, et qu’il ne faut compter pour pesant que ce qui n’est point matière subtile : cette opinion de Descartes n’est chez lui qu’une pure contradiction, car, selon lui, cette prétendue matière subtile fait seule la pesanteur des corps, en les repoussant vers la terre : donc elle pèse elle-même sur ces corps ; donc, si elle pèse, il n’y a pas plus de raison pourquoi un corps sera plus pesant qu’un autre, puisque tout étant plein, tout aura également de masse, soit solide, soit fluide ; donc le plein est une chimère ; donc il y a du vide ; donc rien ne se peut faire dans la nature sans vide ; donc la pesanteur n’est pas l’effet d’un prétendu tourbillon imaginé dans le plein[1].

Nous venons de nous apercevoir, par l’expérience dans la machine pneumatique, qu’il faut qu’il y ait une force qui fasse descendre les corps vers le centre de la terre, c’est-à-dire qui leur donne la pesanteur, et que cette force doit agir en raison de la masse des corps : il faut maintenant voir quels sont les effets de cette force, car si nous en découvrons les effets il est évident

  1. On ne peut pas regarder comme absolument rigoureuse la démonstration de l’impossibilité du plein, parce que le mouvement serait très-possible dans un fluide indéfini expansible, dont la densité varierait suivant une certaine loi, puisque le poids, l’action, la résistance d’une colonne infinie d’un tel fluide, pourraient être exprimés par une quantité finie. Il est donc impossible de rien savoir de précis sur cette question, tant que nous ne connaîtrons pas la nature des fluides expansibles et la cause de l’expansibilité. On peut dire seulement qu’il nous est impossible de concevoir comment la même substance peut occuper un espace double de celui qu’elle occupait, sans qu’il se forme un espace vide entre ses parties. (K.)