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DE M.  PASCAL.

de sagesse, tant d’équité, tant de jugement, que les plus anciens législateurs grecs et romains, en ayant quelque lumière, en ont emprunté leurs principales lois, ce qui paraît par celles qu’ils appellent des douze Tables, et par autres preuves que Josèphe en donne.


Il est très-faux que la loi des Juifs soit la plus ancienne, puisque avant Moïse, leur législateur, ils demeuraient en Égypte, le pays de la terre le plus renommé par ses sages lois, selon lesquelles les rois étaient jugés après la mort. Il est très-faux que le nom de loi n’ait été connu qu’après Homère. Il parle des lois de Minos dans l'Odyssée. Le mot de loi est dans Hésiode ; et quand le nom de loi ne se trouverait ni dans Hésiode ni dans Homère, cela ne prouverait rien. Il y avait d’anciens royaumes, des rois, et des juges : donc il y avait des lois. Celles des Chinois sont bien antérieures à Moïse.

Il est encore très-faux que les Grecs et les Romains aient pris des lois des Juifs. Ce ne peut être dans les commencements de leur république, car alors ils ne pouvaient connaître les Juifs ; ce ne peut être dans le temps de leur grandeur, car alors ils avaient pour ces barbares un mépris connu de toute la terre. Voyez comme Cicéron les traite[1] en parlant de la prise de Jérusalem par Pompée. Philon avoue qu’avant la traduction des Septante aucune nation ne connut leurs livres.


IX. Ce peuple est encore admirable en sincérité. Ils gardent avec amour et fidélité le livre où Moïse déclare qu’ils ont toujours été ingrats envers Dieu, et qu’il sait qu’ils le seront encore plus après sa mort ; mais qu’il appelle le ciel et la terre à témoin contre eux, qu’il le leur a assez dit ; qu’enfin Dieu, s’irritant contre eux, les dispersera par[2] tous les peuples de la terre ; que comme ils l’ont irrité en adorant des dieux qui n’étaient point leurs dieux il les irritera[3] en appelant un peuple qui n’était point son peuple. Cependant ce livre, qui les déshonore en tant de façons, ils le conservent aux dépens de leur vie : c’est une sincérité qui n’a point d’exemple dans le monde, ni sa racine dans la nature.


Cette sincérité a partout des exemples, et n’a sa racine que dans la nature. L’orgueil de chaque Juif est intéressé à croire que ce n’est point sa détestable politique, son ignorance des arts, sa grossièreté qui l’a perdu ; mais que c’est la colère de Dieu qui le punit. Il pense, avec satisfaction, qu’il a fallu des miracles pour

  1. De Provinciis consularibus, v ; et Pro Flacco, xxviii.
  2. Pascal a écrit parmi.
  3. Texte exact : leur Dieu, de même il les provoquera.