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TROISIÈME PARTIE. — CHAPITRE I.

papier : donc la force qui l’a fait descendre a agi cent mille fois plus sur lui que sur le papier, de même qu’il faudra cent fois plus de force à mon bras pour remuer cent livres que pour remuer une livre ; donc cette puissance qui opère la gravitation agit en raison directe de la masse des corps. Elle agit en effet tellement selon la masse des corps, non selon les surfaces, qu’un morceau d’or réduit en poudre descend dans la machine pneumatique aussi vite que la même quantité d’or étendue en feuille. La figure des corps ne change ici en rien leur gravité : ce pouvoir de gravitation agit donc sur la nature interne des corps, et non en raison des superficies.

On n’a jamais pu répondre à ces vérités pressantes que par une supposition aussi chimérique que les tourbillons. On suppose que la matière subtile prétendue qui remplit tout le récipient ne pèse point : étrange idée qui devient absurde ici. Car il ne s’agit pas, dans le cas présent, d’une matière qui ne pèse pas, mais d’une matière qui ne résiste pas. Toute matière résiste par sa force d’inertie. Donc si le récipient était plein, la matière quelconque qui le remplirait résisterait infiniment : cela paraît démontré en rigueur.

Ce pouvoir ne réside point dans la prétendue matière subtile, dont nous parlerons au chapitre suivant ; cette matière serait un fluide. Tout fluide agit sur les solides en raison de leurs superficies ; ainsi le vaisseau présentant moins de surface par sa proue fend la mer qui résisterait à ses flancs. Or, quand la superficie d’un corps est le carré de son diamètre, la solidité de ce corps est le cube de ce même diamètre : le même pouvoir ne peut agir à la fois en raison du cube et du carré ; donc la pesanteur, la gravitation n’est point l’effet de ce fluide.

De plus, il est impossible que cette prétendue matière subtile ait d’un côté assez de force pour précipiter un corps de 54,000 pieds de haut en une minute (car telle est la chute des corps), et que de l’autre elle soit assez impuissante pour ne pouvoir empêcher le pendule du bois le plus léger de remonter de vibration en vibration dans la machine pneumatique, dont cette matière imaginaire est supposée remplir exactement tout l’espace.

Je ne craindrai donc point d’affirmer que, si l’on découvrait jamais une impulsion qui fût la cause de la pesanteur des corps vers un centre, en un mot la cause de la gravitation, de l’attraction universelle, cette impulsion serait d’une tout autre nature que celle que nous connaissons.

Voilà donc une première vérité déjà indiquée ailleurs, et