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DE LA PESANTEUR.

volume ; mais dans cette machine privée d’air, les corps abandonnés à la force, quelle qu’elle soit, qui les précipite sans obstacle, tombent selon tout leur poids.

La machine pneumatique, inventée par Otto Guerike, fut bientôt perfectionnée par Boyle ; on fit ensuite des récipients de verre beaucoup plus longs, qui furent entièrement purgés d’air. Dans un de ces longs récipients, composé de quatre tubes, le tout ensemble ayant huit pieds de hauteur, on suspendit en haut, par un ressort, des pièces d’or, des morceaux de papier, des plumes ; il s’agissait de savoir ce qui arriverait quand on détendrait le ressort. Les bons philosophes prévoyaient que tout cela tomberait en même temps ; le plus grand nombre assurait que les corps les plus massifs tomberaient bien plus vite que les autres : ce grand nombre, qui se trompe presque toujours, fut bien étonné quand il vit, dans toutes les expériences, l’or, le plomb, le papier et la plume tomber également vite, et arriver au fond du récipient en même temps.

Ceux qui tenaient encore pour le plein de Descartes, pour les prétendus effets de la matière subtile, ne pouvaient rendre aucune bonne raison de ce fait : car les faits étaient leurs écueils. Si tout était plein, quand on leur accorderait qu’il pût y avoir alors du mouvement (ce qui est absolument impossible), au moins cette prétendue matière subtile remplirait exactement tout le récipient : elle y serait en aussi grande quantité que de l’eau ou du mercure qu’on y aurait mis ; elle s’opposerait au moins à cette descente si rapide des corps ; elle résisterait à ce large morceau de papier, selon la surface de ce papier, et laisserait tomber la balle d’or ou de plomb beaucoup plus vite ; mais cette chute se fait au même instant : donc il n’y a rien dans le récipient qui résiste ; donc cette prétendue matière subtile ne peut faire aucun effet sensible dans ce récipient ; donc il y a une autre force qui fait la pesanteur.

En vain dirait-on qu’il est possible qu’il reste une matière subtile dans ce récipient, puisque la lumière le pénètre ; il y a bien de la différence. La lumière qui est dans ce vase de verre n’en occupe certainement pas la cent millième partie ; mais, selon les cartésiens, il faut que leur matière imaginaire remplisse bien plus exactement le récipient que si je le supposais rempli d’or : car il y a beaucoup de vide dans l’or, et ils n’en admettent point dans leur matière subtile.

Or, par cette expérience, la pièce d’or, qui pèse cent mille fois plus que le morceau de papier, est descendue aussi vite que le