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ACTION DES CORPS SUR LA LUMIÈRE.

nombre de sens que Dieu nous a donnés sert à nous découvrir un très-petit nombre de propriétés de la matière. Le raisonnement supplée aux sens qui nous manquent, et nous apprend encore que la matière a d’autres attributs, comme l’attraction, la gravitation ; elle en a probablement beaucoup d’autres qui tiennent à sa nature, et dont peut-être un jour la philosophie donnera quelques idées aux hommes.

Pour moi j’avoue que, plus j’y réfléchis, plus je suis surpris qu’on craigne de reconnaître un nouveau principe, une nouvelle propriété dans la matière. Elle en a peut-être à l’infini ; rien ne se ressemble dans la nature. Il est très-probable que le Créateur a fait l’eau, le feu, l’air, la terre, les végétaux, les minéraux, les animaux, etc., sur des principes et des plans tous différents. Il est étrange qu’on se révolte contre de nouvelles richesses qu’on nous présente : car n’est-ce pas enrichir l’homme que de découvrir de nouvelles qualités de la matière dont il est formé[1] ?

  1. Dans les éditions de 1738, et même dans celle de 1741, le chapitre xiii finissait par la variante qu’on a lue, page 501. Après quoi venait un chapitre xiv, que l’auteur a supprimé après 1741, et que voici :
    CHAPITRE XIV.
    Du rapport des sept couleurs primitives avec les sept tons de la musique. — Chose très-remarquable dans Kircher. Manière de connaître les proportions des couleurs primitives de la lumière. Analogie des tons de la musique et des couleurs. Idée d’un clavecin oculaire.

    « Vous savez que, très-longtemps avant Descartes, on s’était aperçu qu’un prisme exposé au soleil donne les couleurs de l’arc-en-ciel ; on avait vu souvent ces couleurs se peindre sur un linge ou sur un papier blanc, dans un ordre qui est toujours le même ; bientôt on alla, d’expérience en expérience, jusqu’à mesurer l’espace qu’occupe chacune de ces couleurs ; enfin on s’est aperçu que ces espaces sont entre eux les mêmes que ceux des longueurs d’une corde qui donne les sept tons de la musique.

    « J’avais toujours entendu dire que c’était dans Kircher que Newton avait puisé cette découverte de l’analogie de la lumière et du son. Kircher, en effet, dans son Ars magna lucis et umbrœ, et dans d’autres livres encore, appelle le son le singe de la lumière. Quelques personnes en inféraient que Kircher avait connu ces rapports ; mais il est bon, de peur de méprise, de mettre ici sous les yeux ce que dit Kircher, pages 146 et suivantes. « Ceux, dit-il, qui ont une voix haute et forte tiennent de la nature de l’âne : ils sont indiscrets et pétulants, comme on sait que sont les ânes ; et cette voix ressemble à la couleur noire. Ceux dont la voix est grave d’abord, et ensuite aiguë, tiennent du bœuf : ils sont, comme lui, tristes et colères, et leur voix répond au bleu céleste. »

    « Il a grand soin de fortifier ces belles découvertes du témoignage d’Aristote. C’est là tout ce que nous apprend le P. Kircher, d’ailleurs l’un des plus grands mathématiciens et des plus savants hommes de son temps ; et c’est ainsi, à peu près, que tous ceux qui n’étaient pas savants raisonnaient alors. Voyons comment Newton a raisonné.

    « Il y a, comme vous savez, dans un seul rayon de lumière, sept principaux