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DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE XI.

dans les écrits des Grecs, ni des Romains, ni des Arabes, qui puisse faire penser qu’ils connussent les raisons de ce phénomène. Lucrèce n’en dit rien ; et par toutes les absurdités qu’il débite, au nom d’Épicure, sur la lumière et sur la vision, il paraît que son siècle, si poli d’ailleurs, était plongé dans une profonde ignorance en fait de physique. On savait qu’il faut qu’une nuée épaisse se résolvant en pluie soit exposée aux rayons du soleil, et que nos yeux se trouvent entre l’astre et la nuée, pour voir ce qu’on appelait l’iris. Mille trahit varias adverse sole colores[1] ; mais voilà tout ce qu’on savait : personne n’imaginait ni pourquoi une nuée donne des couleurs, ni comment la nature et l’ordre des couleurs sont déterminés, ni pourquoi il y a deux arcs-en-ciel l’un sur l’autre, ni pourquoi on voit toujours ces phénomènes sous la figure d’un demi-cercle.

Albert, qu’on a surnommé le Grand parce qu’il vivait dans un siècle où les hommes étaient bien petits, imagina que les couleurs de l’arc-en-ciel venaient d’une rosée qui est entre nous et la nuée, et que ces couleurs, reçues sur la nuée, nous étaient envoyées par elle. Vous remarquerez encore que cet Albert le Grand croyait, avec toute l’école, que la lumière était un accident.

Enfin le célèbre Antonio de Dominis, archevêque de Spalatro en Dalmatie, chassé de son évêché par l’Inquisition, écrivit, vers l’an 1590, son petit traité De Radiis lucis et de iride, qui ne fut imprimé à Venise que vingt ans après[2]. Il fut le premier qui fit

    M. l’abbé Rochon, à la mesure des petits angles. L’instrument qu’il a inventé pour cet objet est très-ingénieux, et donne ces mesures avec la plus grande précision. Il peut servir aussi à mesurer des distances sans avoir besoin d’employer des bases d’une grande étendue. (K.)

  1. Virgile, Æn., IV, 701.
  2. Antonio de Dominis fut une des plus illustres victimes de l’Inquisition romaine. Il renonça à son archevêché et se retira, vers 1603, en Angleterre, où il publia l’histoire du concile de Trente de Fra-Paolo, son ami. Il s’occupa du projet de réconcilier les communions chrétiennes : projet qui fut celui d’un grand nombre d’esprits sages et amis de la paix, dans un siècle où les principes de la tolérance étaient inconnus. On trouva moyen de l’engager, en 1012, à retourner en Italie, en lui promettant qu’on se contenterait de la rétractation de quelques propositions soi-disant hérétiques, qu’on l’accusait d’avoir soutenues. Mais, peu de temps après cette rétractation, on lui supposa d’autres crimes. Il fut mis au château Saint-Ange, où il mourut en 1625, âgé de soixante-quatre ans. Les inquisiteurs eurent la barbarie de le faire déterrer et de brûler son cadavre. Outre son ouvrage sur l’optique, il avait fait un livre intitulé De Rebublica christiana, qui fut brûlé avec lui. Ce livre fut condamné par la Sorbonne, parce qu’il contenait des principes de tolérance et des maximes favorables à l’indépendance des princes séculiers. Fra-Paolo, plus sage que l’archevêque de Spalatro, resta toute sa vie à Venise, où il n’avait du moins à craindre que les assassins. Peu de temps après, l’illustre Galilée, l’honneur de l’Italie, fut forcé de demander pardon d’avoir dé-