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DES DISTANCES ET GRANDEURS.

besoin sont à dix pas de vous, ou à cent millions de lieues, et si elles sont de la grosseur d’un ciron ou d’une montagne. Il vaudrait beaucoup mieux pour vous être nés aveugles.

Nous avons donc très-grand tort quand nous disons que nos sens nous trompent. Chacun de nos sens fait la fonction à laquelle la nature l’a destiné. Ils s’aident mutuellement pour envoyer à notre âme, par les mains de l’expérience, la mesure des connaissances que notre être comporte. Nous demandons à nos sens ce qu’ils ne sont point faits pour nous donner. Nous voudrions que nos yeux nous fissent connaître la solidité, la grandeur, la distance, etc. ; mais il faut que le toucher s’accorde en cela avec la vue, et que l’expérience les seconde. Si le P. Malebranche avait envisagé la nature par ce côté, il eût attribué peut-être moins d’erreurs à nos sens, qui sont les seules sources de toutes nos idées.

Il ne faut pas sans doute étendre à tous les cas cette espèce de métaphysique que nous venons de voir : nous ne devons l’appeler au secours que quand les mathématiques nous sont insuffisantes ; et c’est encore une erreur qu’il faut reconnaître dans le P. Malebranche. Il attribue, par exemple, à la seule imagination des hommes, des effets dont les seules règles d’optique rendent raison. Il croit que si les astres nous paraissent plus grands à l’horizon qu’au méridien, c’est à l’imagination seule qu’il faut s’en prendre. Nous allons, dans le chapitre suivant, expliquer ce phénomène, qui depuis cent ans a exercé tant de philosophes.


CHAPITRE VIII.
Pourquoi le soleil et la lune paraissent plus grands à l’horizon qu’au méridien. — Système de Malebranche, démenti par l’expérience. Explication du phénomène.


Wallis fut le premier qui crut que la longue interposition des terres, et même des nuages, fait paraître le soleil et la lune plus grands à l’horizon qu’au méridien. Malebranche fortifia cette opinion de toutes les preuves que lui fournit la sagacité de son génie. Régis eut avec lui une dispute célèbre sur ce phénomène : il l’attribuait aux réfractions qui se font dans les vapeurs de la terre, et il se trompait, car les réfractions font précisément l’effet contraire à celui que Régis leur attribuait ; mais le P. Malebranche ne se trompait pas moins, en soutenant que l’imagination, frap-