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REMARQUES SUR LES PENSÉES

Quelle étrange explication ! L’homme est inconcevable, sans un mystère inconcevable. C’est bien assez de ne rien entendre à notre origine, sans l’expliquer par une chose qu’on n’entend pas. Nous ignorons comment l’homme naît, comment il croit, comment il digère, comment il pense, comment ses membres obéissent à sa volonté : serai-je bien reçu à expliquer ces obscurités par un système inintelligible ? Ne vaut-il pas mieux dire : Je ne sais rien ? Un mystère ne fut jamais une explication ; c’est une chose divine et inexplicable.

Qu’aurait répondu M. Pascal à un homme qui lui aurait dit : Je sais que le mystère du péché originel est l’objet de ma foi et non de ma raison ; je connais fort bien sans mystère ce que c’est que l’homme ; je vois qu’il vient au monde comme les autres animaux ; que l’accouchement des mères est plus douloureux à mesure qu’elles sont plus délicates ; que quelquefois des femmes et des animaux femelles meurent dans l’enfantement ; qu’il y a quelquefois des enfants mal organisés, qui vivent privés d’un ou de deux sens, et de la faculté du raisonnement ; que ceux qui sont le mieux organisés sont ceux qui ont les passions les plus vives ; que l’amour de soi-même est égal chez tous les hommes, et qu’il leur est aussi nécessaire que les cinq sens ; que cet amour-propre nous est donné de Dieu pour la conservation de notre être, et qu’il nous a donné la religion pour régler cet amour-propre ; que nos idées sont justes ou inconséquentes, obscures ou lumineuses, selon que nos organes sont plus ou moins solides, plus ou moins déliés, et selon que nous sommes plus ou moins passionnés ; que nous dépendons en tout de l’air qui nous environne, des aliments que nous prenons, et que dans tout cela il n’y a rien de contradictoire ?

L’homme à cet égard n’est point une énigme, comme vous vous le figurez pour avoir le plaisir de la deviner ; l’homme paraît être à sa place dans la nature. Supérieur aux animaux, auxquels il est semblable par les organes ; inférieur à d’autres êtres, auxquels il ressemble probablement par la pensée, il est, comme tout ce que nous voyons, mêlé de mal et de bien, de plaisir et de peine ; il est pourvu de passions pour agir, et de raison pour gouverner ses actions. Si l’homme était parfait, il serait Dieu ; et ces prétendues contrariétés que vous appelez contradictions sont les ingrédients nécessaires qui entrent dans le composé de l’homme, qui est, comme le reste de la nature, ce qu’il doit être.

Voilà ce que la raison peut dire. Ce n’est donc point la raison