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DE LA RÉFRACTION.

Qu’on y verse de l’eau : vous ne l’aperceviez point d’abord où elle était ; maintenant vous la voyez où elle n’est pas : qu’est-il arrivé ?

L’objet A réfléchit un rayon qui vient frapper contre le bord du bassin (figure 5), et qui n’arrivera jamais à votre œil ; il réfléchit aussi ce rayon A B, qui passe par-dessus votre œil : or à présent vous recevez ce rayon A B ; ce n’est point votre œil qui a changé de place, c’est donc le rayon A B ; il s’est manifestement détourné au bord de ce bassin, en passant de l’eau dans l’air ; ainsi il frappe votre œil en C.

Mais vous voyez toujours les objets en ligne droite, donc vous voyez l’objet suivant la ligne droite C D, donc vous voyez l’objet au point D au-dessus du lieu où il est en effet.

Si ce rayon se brise en un sens quand il passe de l’eau dans l’air (figure 6), il doit se briser en un sens contraire quand il entre de l’air dans l’eau.

J’élève sur cette eau une perpendiculaire, le rayon A, qui, partant du point lumineux, se brise au point B et s’approche dans l’eau de cette perpendiculaire en suivant le chemin B D ; et ce même rayon D B, en passant de l’eau dans l’air, se brise en allant vers A et en s’éloignant de cette même perpendiculaire : la lumière se réfracte donc selon les milieux qu’elle traverse. C’est sur ce principe que la nature a disposé les humeurs différentes qui sont dans nos yeux, afin que les traits de lumière qui passent à travers ces humeurs se brisent de façon qu’ils se réunissent après dans un point sur notre rétine ; c’est enfin sur ce principe que nous fabriquons les lunettes, dont les verres éprouvent des réfractions encore plus grandes qu’il ne s’en fait dans nos yeux, et qui, apportant ainsi plus de rayons réunis, peuvent étendre jusqu’à deux cents fois la force de notre vue ; de même que l’invention des leviers a donné une nouvelle force à nos bras, qui sont des leviers naturels. Avant que d’expliquer la raison que Newton a trouvée de cette propriété de la lumière, vous voulez que je dise comment cette réfraction agit dans nos yeux, et comment le sens de la vue, le plus étendu de tous nos sens, doit son existence à la réfraction. Quelque connue que soit cette matière, les commençants qui pourront lire ce petit ouvrage seront bien aises de ne point chercher ailleurs ce qu’ils désireraient savoir touchant la vue.