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NATURE DE LA LUMIÈRE.

matière lumineuse était comme un long bâton pressée par le soleil à un bout, l’impression s’en communiquerait à l’instant à l’autre bout. Donc si un satellite de Jupiter pressait une prétendue matière lumineuse considérée comme un fil de globules, roide, étendu jusqu’à nos yeux, nous ne verrions point l’émersion de ce satellite après plusieurs minutes, mais dans l’instant de l’émersion même.

Si pour dernier subterfuge on se retranche à dire que la matière lumineuse doit être regardée, non comme un corps roide, mais comme un fluide, on retombe alors dans l’erreur indigne de tout physicien, laquelle suppose l’ignorance de l’action des fluides : car ce fluide agirait en tout sens[1], et il n’y aurait, comme on l’a dit, jamais de nuit ni d’éclipse. Le mouvement serait bien autrement lent dans ce fluide, et il faudrait des siècles au lieu de sept minutes pour nous faire sentir la lumière du soleil. La découverte de Roemer prouvait donc incontestablement la propagation et la progression de la lumière.

Si l’ancien préjugé se débat encore contre une telle vérité, qu’il cède du moins aux nouvelles découvertes de M. Bradley, qui la confirment d’une manière si admirable. L’expérience de Bradley est peut-être le plus bel effort qu’on ait fait en astronomie.

On sait que cent quatre-vingt-dix millions de nos lieues, que parcourt au moins la terre dans son année, ne sont qu’un point par rapport à la distance des étoiles fixes à la terre. La vue ne saurait apercevoir si au bout du diamètre de cette orbite immense une étoile a changé de place à notre égard : il est pourtant bien certain qu’après six mois, il y a entre nous et une étoile située près du pôle environ soixante-six millions de lieues de différence ; et ce chemin, qu’un boulet de canon ne ferait pas en cinquante ans en conservant sa vitesse, est anéanti dans la prodigieuse distance de notre globe à la plus prochaine étoile : car, lorsque l’angle visuel devient d’une certaine petitesse, il n’est plus mesurable, il devient nul.

Trouver le secret de mesurer cet angle, en connaître la différence, lorsque la terre est au cancer et lorsqu’elle est au capricorne, avoir par ce moyen ce qu’on appelle la parallaxe de la terre, paraissait un problème aussi difficile que celui des longitudes.

  1. Voltaire fait ici, comme plus haut, allusion au principe de Pascal sur la transmission des pressions dans les fluides. (D.)