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NATURE DE LA LUMIÈRE.

l’impression en viendrait à nos yeux. La lumière circulerait comme le son. Nous verrions un objet au delà d’une montagne ; enfin nous n’aurions jamais un si beau jour que dans une éclipse centrale du soleil, car la lune, en passant entre nous et cet astre, presserait (au moins selon Descartes) les globules de la lumière, et ne ferait qu’augmenter leur action.

2° Les rayons qu’on détourne par un prisme, et qu’on force de prendre un nouveau chemin, démontrent que la lumière se meut effectivement, et n’est pas un amas de globules simplement pressés ; la lumière suit trois chemins différents en entrant dans un prisme ; ses trois routes dans l’air, dans le prisme, et au sortir du prisme, sont différentes ; bien plus, elle accélère son mouvement dans le corps du prisme[1] : n’est-il donc pas un peu étrange de dire qu’un corps qui change visiblement trois fois de place, et qui augmente son mouvement, ne se remue point ? et cependant il vient de paraître un livre dans lequel on ose dire que la progression de la lumière est une absurdité.

3° Si la lumière était un amas de globules, un fluide existant dans l’air et en tout lieu, un petit trou qu’on pratique dans une chambre obscure devrait l’illuminer tout entière : car la lumière, poussée alors en tout sens dans ce petit trou, agirait en tout sens comme des boules d’ivoire rangées en rond ou en carré s’écarteraient toutes si une seule d’elles était fortement pressée ; mais il arrive tout le contraire : la lumière reçue par un petit orifice, lequel ne laisse passer qu’un petit cône de rayons, et va à vingt-cinq pieds, éclaire à peine un demi-pied de l’endroit qu’elle frappe.

4° On sait que la lumière, qui émane du soleil jusqu’à nous, traverse à peu près en huit minutes ce chemin immense qu’un boulet de canon, conservant sa vitesse, ne ferait pas en vingt-cinq années.

L’auteur du Spectacle de la Nature[2], ouvrage très-estimable, est tombé ici dans une méprise qui peut égarer les commençants pour lesquels son livre est fait. Il dit que la lumière vient en sept

  1. Cette accélération est une conséquence de la théorie de Newton. La théorie des ondulations conduit rationnellement à un résultat inverse. Les célèbres expériences de M. L. Foucault ont montré que la vitesse était plus petite dans les corps plus réfringents. Ce fait décide entre les deux théories. (D.)
  2. Voltaire combat souvent, et tourne quelquefois en ridicule les opinions de l’abbé Pluche, auteur du Spectacle de la nature et de l’Histoire du ciel. Voyez tomes XVII, page 27 ; XVIII, pages 20, 50, 189, 190, 329 et suivantes, 533 ; XIX, 65, 137, 558, 559 ; dans les Mélanges, année 1750, le Remerciement sincère ; et le paragraphe vii de l’Instruction du gardien des capucins de Raguse.