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DES MONADES.

quoi sont-elles composées ? Elles sont actuellement, continue-t-il, divisibles et divisées à l’infini ; vous ne trouvez donc jamais que de l’étendue. Or, dire que l’étendue est la raison suffisante de l’étendue, c’est faire un cercle vicieux, c’est ne rien dire ; il faut donc trouver la raison, la cause des êtres étendus dans des êtres qui ne le sont pas, dans des êtres simples, dans des monades ; la matière n’est donc rien qu’un assemblage d’êtres simples. On a vu au chapitre de l’Âme, que, selon Leibnitz, chaque être simple est sujet au changement ; mais ses altérations, ses déterminations successives qu’il reçoit, ne peuvent venir du dehors, par la raison que cet être est simple, intangible, et n’occupe point de place : il a donc la source de tous ses changements en lui-même, à l’occasion des objets extérieurs ; il a donc des idées. Mais il a un rapport nécessaire avec toutes les parties de l’univers : il a donc des idées relatives à tout l’univers ; les éléments du plus vil excrément ont donc un nombre infini d’idées ; leurs idées, à la vérité, ne sont pas bien claires, elles n’ont pas l’aperception, comme dit Leibnitz, elles n’ont pas en elles le témoignage intime de leurs pensées ; mais elles ont des perceptions confuses du présent, du passé, et de l’avenir. Il admet quatre espèces de monades : 1° les éléments de la matière, qui n’ont aucune pensée claire ; 2° les monades des bêtes, qui ont quelques idées claires et aucune distincte ; 3° les monades des esprits finis, qui ont des idées confuses, des claires, des distinctes ; 4° enfin la monade de Dieu, qui n’a que des idées adéquates.

Les philosophes anglais, je l’ai déjà dit[1], qui ne respectent point les noms, ont répondu à tout cela en riant ; mais il ne m’est permis de réfuter Leibnitz qu’en raisonnant ; il me semble que je prendrais la liberté de dire à ceux qui ont accrédité de telles opinions : Tout le monde convient avec vous du principe de la raison suffisante ; mais en tirez-vous ici une conséquence bien juste ?

1° Vous admettez la matière actuellement divisible à l’infini ; la plus petite partie n’est donc pas possible à trouver. Il n’y en a point qui n’ait des côtés, qui n’occupe un lieu, qui n’ait une figure : comment donc voulez-vous qu’elle ne soit formée que d’êtres sans figure, sans lieu, et sans côtés ? Ne heurtez-vous pas le grand principe de la contradiction en voulant suivre celui de la raison suffisante ?

2° Est-il bien suffisamment raisonnable qu’un composé n’ait rien de semblable à ce qui le compose ? Que dis-je, rien de sem-

  1. Chapitre vi, page 425.