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DE L’ÂME ET DES IDÉES.

angles, indépendamment de Dieu, Quoi ! dès que Dieu crée quelque chose, qui n’est pas matière, il faut absolument que ce quelque chose pense ? Faibles et hardis que nous sommes ! savons-nous si Dieu n’a pas formé des millions d’êtres qui n’ont ni les propriétés de l’esprit ni celles de la matière à nous connues ? Nous sommes dans le cas d’un pâtre qui, n’ayant jamais vu que des bœufs, dirait : Si Dieu veut faire d’autres animaux, il faut qu’ils aient des cornes et qu’ils ruminent. Qu’on juge donc ce qui est plus respectueux pour la Divinité, ou d’affirmer qu’il y a des êtres qui ont sans lui l’attribut divin de la pensée, ou de soupçonner que Dieu peut accorder cet attribut à l’être qu’il daigne choisir.

On voit par cela seul combien injustes sont ceux qui ont voulu faire à Locke un crime de ce sentiment, et combattre, par une malignité cruelle, avec les armes de la religion une idée purement philosophique.

Au reste, Newton était bien loin de hasarder une définition de l’âme, comme tant d’autres ont osé le faire. Il croyait qu’il était possible qu’il y eût des millions d’autres substances pensantes, dont la nature pouvait être absolument différente de la nature de notre âme. Ainsi la division que quelques-uns ont faite de toute la nature entre corps et esprit paraît la définition d’un sourd et d’un aveugle qui, en définissant les sens, ne soupçonneraient ni la vue, ni l’ouïe : de quel droit en effet pourrait-on dire que Dieu n’a pas rempli l’espace immense d’une infinité de substances qui n’ont rien de commun avec nous ?

Newton ne s’était point fait de système sur la manière dont l’âme est unie au corps, et sur la formation des idées. Ennemi des systèmes, il ne jugeait de rien que par analyse ; et lorsque ce flambeau lui manquait, il savait s’arrêter.

Il y a eu jusqu’ici dans le monde quatre opinions sur la formation des idées. La première est celle de presque toutes les anciennes nations qui, n’imaginant rien au delà de la matière, ont regardé nos idées dans notre entendement comme l’impression du cachet sur la cire. Cette opinion confuse était plutôt un instinct grossier qu’un raisonnement ; les philosophes, qui ont voulu ensuite prouver que la matière pense par elle-même, ont erré bien davantage : car le vulgaire se trompait sans raisonner, et ceux-ci erraient par principes ; aucun d’eux n’a pu jamais rien trouver dans la matière qui pût prouver qu’elle a l’intelligence par elle-même.

Locke paraît le seul qui ait ôté la contradiction entre la matière et la pensée, en recourant tout d’un coup au créateur de