Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome22.djvu/429

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
411
LIBERTÉ DE DIEU.


CHAPITRE III.
De la liberté dans Dieu, et du grand principe de la raison suffisante. — Principes de Leibnitz, poussés peut-être trop loin. Ses raisonnements séduisants. Réponse. Nouvelles instances contre le principe des indiscernables.


Newton soutenait que Dieu, infiniment libre comme infiniment puissant, a fait beaucoup de choses qui n’ont d’autre raison de leur existence que sa seule volonté.

Par exemple, que les planètes se meuvent d’occident en orient, plutôt qu’autrement ; qu’il y ait un tel nombre d’animaux, d’étoiles, de mondes, plutôt qu’un autre ; que l’univers fini soit dans un tel ou tel point de l’espace, etc. : la volonté de l’Être suprême en est la seule raison.

Le célèbre Leibnitz prétendait le contraire, et se fondait sur un ancien axiome employé autrefois par Archimède : Rien ne se fait sans cause où sans raison suffisante, disait-il, et Dieu a fait en tout le meilleur, parce que s’il ne l’avait pas fait comme meilleur, il n’eût pas eu raison de le faire. Mais il n’y a point de meilleur dans les choses indifférentes, disaient les newtoniens ; mais il n’y a point de choses indifférentes, répondent les leibnitiens. Votre idée mène à la fatalité absolue, disait Clarke ; vous faites de Dieu un être qui agit par nécessité, et par conséquent un être purement passif : ce n’est plus Dieu. Votre Dieu, répondait Leibnitz, est un ouvrier capricieux, qui se détermine sans raison suffisante. La volonté de Dieu est la raison, répondait l’Anglais. Leibnitz insistait, et faisait des attaques très-fortes en cette manière.

Nous ne connaissons point deux corps entièrement semblables dans la nature, et il ne peut en être : car s’ils étaient semblables, premièrement cela marquerait dans Dieu tout-puissant et tout fécond un manque de fécondité et de puissance. En second lieu, il n’y aurait nulle raison pourquoi l’un serait à cette place plutôt que l’autre.

Les newtoniens répondaient :

Premièrement, il est faux que plusieurs êtres semblables marquent de la stérilité dans la puissance du Créateur : car si les éléments des choses doivent être absolument semblables pour produire des effets semblables ; si, par exemple, les éléments des rayons éternellement rouges de la lumière doivent être les mêmes pour donner ces rayons rouges ; si les éléments de l’eau doivent être les mêmes pour former l’eau ; cette parfaite ressemblance,