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ESPACE ET DURÉE.

Or, si un quart d’heure de souffrance ne vous arrête pas, pourquoi deux heures, pourquoi un jour, pourquoi une année de tourment, vous feront-ils rejeter l’idée d’un artisan suprême et universel ?

Il est prouvé qu’il y a plus de bien que de mal dans ce monde, puisqu’en effet peu d’hommes souhaitent la mort ; vous avez donc tort de porter des plaintes au nom du genre humain, et plus grand tort encore de renier votre souverain sous prétexte que quelques-uns de ses sujets sont malheureux. Lorsque vous avez examiné les rapports qui se trouvent dans les ressorts d’un animal, et les desseins qui éclatent de toutes parts dans la manière dont cet animal reçoit la vie, dont il la soutient, et dont il la donne, vous reconnaissez sans peine cet artisan souverain : changerez-vous de sentiment parce que les loups mangent les moutons, et que les araignées prennent des mouches ? Ne voyez-vous pas, au contraire, que ces générations continuelles, toujours dévorées et toujours reproduites, entrent dans le plan de l’univers ? J’y vois de l’habileté et de la puissance, répondez-vous, et je n’y vois point de bonté. Mais quoi ? lorsque dans une ménagerie vous élevez des animaux que vous égorgez, vous ne voulez pas qu’on vous appelle méchant, et vous accusez de cruauté le maître de tous les animaux, qui les a faits pour être mangés dans leur temps ? Enfin, si vous pouvez être heureux dans toute l’éternité, quelques douleurs dans cet instant passager qu’on nomme la vie valent-elles la peine qu’on en parle ?

Vous ne trouvez pas que le Créateur soit bon, parce qu’il y a du mal sur la terre. Mais la nécessité, qui tiendrait lieu d’un Être suprême, serait-elle quelque chose de meilleur ? Dans le système qui admet un Dieu, on n’a que des difficultés à surmonter, et dans tous les autres systèmes on a des absurdités à dévorer.

La philosophie nous montre bien qu’il y a un Dieu ; mais elle est impuissante à nous apprendre ce qu’il est, ce qu’il fait, comment et pourquoi il le fait.

Il me semble qu’il faudrait être lui-même pour le savoir.


CHAPITRE II.
De l’espace et de la durée comme propriétés de Dieu. — Sentiment de Leibnitz. Sentiment et raisons de Newton. Matière infinie impossible. Épicure devait admettre un Dieu créateur et gouverneur. Propriétés de l’espace pur et de la durée.


Newton regarde l’espace et la durée comme deux êtres dont l’existence suit nécessairement de Dieu même : car l’Être infini