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DE DIEU.

Il ne goûtait pas beaucoup la grande preuve qui se tire de la succession des êtres. On dit communément que si les hommes, les animaux, les végétaux, tout ce qui compose le monde, était éternel, on serait forcé d’admettre une suite de générations sans cause. Ces êtres, dit-on, n’auraient point d’origine de leur existence : ils n’en auraient point d’extérieure, puisqu’ils sont supposés remonter de génération en génération, sans commencement ; ils n’en auraient point d’intérieure, puisque aucun d’eux n’existerait par soi-même. Ainsi tout serait effet, et rien ne serait cause.

Il trouvait que cet argument n’était fondé que sur l’équivoque de générations et d’êtres formés les uns par les autres : car les athées, qui admettent le plein, répondent que, à proprement parler, il n’y a point de générations, il n’y a point d’êtres produits, il n’y a point plusieurs substances. L’univers est un tout, existant nécessairement, qui se développe sans cesse ; c’est un même être dont la nature est d’être immuable dans sa substance, et éternellement varié dans ses modifications ; ainsi l’argument tiré seulement des êtres qui se succèdent prouverait peut-être peu contre l’athée, qui nierait la pluralité des êtres. L’athée appellerait à son secours ces anciens axiomes que rien ne naît de rien, qu’une substance n’en peut produire une autre, que tout est éternel et nécessaire. Il faudrait donc le combattre avec d’autres armes ; il faudrait lui prouver que la matière ne peut avoir d’elle-même aucun mouvement ; il faudrait lui faire entendre que si elle avait le moindre mouvement par elle-même, ce mouvement lui serait essentiel : il serait alors contradictoire qu’il y eût du repos. Mais, si l’athée répond qu’il n’y a rien en repos, que le repos est une fiction, une idée incompatible avec la nature de l’univers ; qu’une matière infiniment déliée circule éternellement dans tous les pores des corps ; s’il soutient qu’il y a toujours également des forces motrices dans la nature, et que cette permanente égalité de forces semble prouver un mouvement nécessaire ; alors il faut encore recourir contre lui à d’autres armes, et il peut prolonger le combat : en un mot, je ne sais s’il y a aucune preuve métaphysique plus frappante, et qui parle plus fortement à l’homme que cet ordre admirable qui règne dans le monde ; et si jamais il y a eu un plus bel argument que ce verset : Cœli enarrant gloriam Dei. Aussi, vous voyez que Newton n’en apporte point d’autre à la fin de son Optique et de ses Principes. Il ne trouvait point de raisonnement plus convaincant et plus beau en faveur de la Divinité que celui de Platon, qui fait dire à un de ses interlocuteurs : Vous jugez