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AVERTISSEMENT.

Son génie embrassa toute l’étendue des connaissances humaines ; la métaphysique l’entraîna ; il crut pouvoir assigner les principes de convenance qui avaient présidé à la construction de l’univers. Selon lui, Dieu, par son essence même, est nécessité à ne point agir sans une raison suffisante, à conserver dans la nature la loi de continuité, à ne point produire deux êtres rigoureusement semblables, parce qu’il n’y aurait point de raison de leur existence ; puisqu’il est souverainement bon, l’univers doit être le meilleur des univers possibles ; souverainement sage, il règle cet univers par les lois les plus simples. Si tous les phénomènes peuvent se concevoir, en ne supposant que des substances simples, il ne faut pas en supposer de composées, ni par conséquent d’étendues, susceptibles d’une division indéfinie. Or des êtres simples, pourvu qu’on leur suppose une force active, sont susceptibles de produire tous les phénomènes de l’étendue, tous ceux que présentent les corps en mouvement.

Quelques êtres simples ont des idées : telles sont les âmes humaines. Tous seront donc susceptibles d’en avoir ; mais leurs idées seront distinctes ou confuses, selon l’ordre que ces êtres occupent dans l’univers. L’âme de Newton, l’élément d’un bloc de marbre, sont des substances de la même nature : l’une a des idées sublimes, l’autre n’en a que de confuses.

Cet élément, placé dans un autre lieu, par la suite des temps, peut devenir une âme raisonnable. Ce n’est point en vertu de sa nature que l’âme agit sur les monades qui composent le corps, et celles-ci sur l’âme ; mais, en vertu des lois éternelles, l’âme doit avoir certaines idées, les monades du corps certains mouvements. Ces deux suites de phénomènes peuvent être indépendantes l’une de l’autre : elles le sont donc, puisqu’une dépendance réelle est inutile à l’ordre de l’univers.

Ces idées sont grandes et vastes ; on ne peut qu’admirer le génie qui en a conçu l’ordre et l’ensemble ; mais il faut avouer qu’elles sont dénuées de preuves, que nous ne connaissons rien dans la nature, sinon la suite des faits qu’elle nous présente, et ces faits sont en trop petit nombre pour que nous puissions deviner le système général de l’univers. Du moment où nous sortons de nos idées abstraites et des vérités de définition pour examiner le tableau que présente la succession de nos idées, ce qui est pour nous l’univers, nous pouvons y trouver, avec plus ou moins de probabilité, un ordre constant dans chaque partie ; mais nous ne pouvons en saisir l’ensemble, et jamais, quelques progrès que nous fassions, nous ne le connaîtrons tout entier.