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seconde, pour faire réussir cette machine. On ne peut que louer l’effort d’un bon citoyen qui cherche à rendre service à l’État par des machines nouvelles ; mais on ne peut que rire d’un journaliste qui fait le savant, et qui dit de telles sottises.

XXIV.

Au nombre 52, l’auteur des Observations s’avise de parler de guerre ; il a l’insolence de dire que feu M. le maréchal de Tallard gagna la bataille de Spire contre toutes les règles, par une méprise, et parce qu’il avait la vue courte, circonstance, dit-il, qu’il savait depuis longtemps. Il faut apprendre à cet homme, ci-devant jésuite et curé, ce que c’est que la bataille de Spire. Voici ce qu’en dit, dans une de ses lettres, un des meilleurs lieutenants-généraux qu’ait eus la France :

« M. le maréchal de Tallard ayant assiégé Landau, M, le prince de Hesse et M. de Nassau-Neubourg, à la tête de l’armée des alliés, forcèrent plusieurs marches pour secourir la ville. Je marchais cependant pour joindre l’armée du siège, et il était à craindre que les alliés, se portant entre M. de Tallard et moi, ne lui coupassent les vivres. La situation était embarrassante ; les ennemis n’avaient plus que deux marches à faire pour attaquer M. de Tallard : il prit sa résolution sur-le-champ ; il m’envoie dire de marcher en toute diligence avec ma cavalerie vers le Spireback, que les ennemis passaient, et il fait lui-même deux marches forcées pour aller attaquer ceux qui comptaient le surprendre. Un espion, auquel il donna mille écus, l’instruisit de l’état de l’armée ennemie ; je le joignis avec deux mille chevaux, mon infanterie suivait. Nous arrivâmes au Spireback dans le temps que les généraux alliés étaient à table. Leur armée se rangea en bataille avec beaucoup de confusion, et nous fondîmes sur eux pendant qu’ils se formaient, quoique toutes nos troupes ne fussent pas arrivées. Je n’ai jamais vu tant de célérité dans l’exécution : les ennemis firent un feu très-vif, et obligèrent même M, de Puignon de reculer à leur droite ; mais M. le maréchal fit charger, la baïonnette au bout du fusil : méthode excellente, et qui nous réussit presque toujours ; alors les ennemis ne firent plus aucune résistance. »

Eh bien ! monsieur le journaliste, est-ce là gagner une bataille par méprise ? M. de Feuquières, ennemi personnel de M. de Tallard, a pu le dire[1] ; il a fait par envie ce que vous faites par ignorance.

  1. Dans ses Mémoires et Maximes militaires, 1737.