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LE LUXE, LES MONNAIES, ET LES IMPÔTS.

fois autant que François Ier en tirait. Cela est déjà bien éloigné du compte de M. Dutot.

Il prétend, pour prouver son système, que les denrées sont quinze fois plus chères qu’au xvie siècle. Examinons ces prix des denrées. Il faut s’en tenir au prix du blé dans les capitales, année commune. Je trouve beaucoup d’années, au xvie siècle, dans lesquelles le blé est à cinquante sous, à vingt-cinq, à vingt, à dix-huit sous, à quatre francs, et j’en forme une année commune de trente sous. Le froment vaut aujourd’hui environ douze livres. Les denrées n’ont donc augmenté que huit fois en valeur numéraire, et c’est la proportion dans laquelle elles ont augmenté en Angleterre et en Allemagne ; mais ces trente sous du xvie siècle valaient cinq livres quinze sous des nôtres. Or cinq livres quinze sous font, à cinq sous près, la moitié de douze livres : donc en effet Louis XV, trois fois plus riche que François Ier, n’achète les choses, en poids de marc, que le double de ce qu’on les achetait alors. Or un homme qui a neuf cents francs et qui achète une denrée six cents francs reste certainement plus riche de cent écus que celui qui, n’ayant que trois cents livres, achète cette même denrée trois cents livres ; donc Louis XV reste plus riche d’un tiers que François Ier.

Mais ce n’est pas tout : au lieu d’acheter toutes les denrées le double, il achète les soldats, la plus nécessaire denrée des rois, à beaucoup meilleur marché que tous ses prédécesseurs. Sous François Ier et sous Henri II, les forces des armées consistaient en une gendarmerie nationale, et en fantassins étrangers, que nous ne pouvons plus comparer à nos troupes ; mais l’infanterie, sous Louis XV, est payée à peu près sur le même pied, au même prix numéraire que sous Henri IV. Le soldat vend sa vie six sous par jour, en comptant son habit : ces six sous en valaient douze pareils du temps de Henri IV. Ainsi, avec le même revenu que Henri le Grand, on peut entretenir le double de soldats ; et avec le double d’argent on peut en soudoyer le quadruple. Ce que je dis ici suffit pour faire voir que, malgré les calculs de M. Dutot, les rois, aussi bien que l’État, sont plus riches qu’ils n’étaient. Je ne nie pas qu’ils ne soient plus endettés.

Louis XIV a laissé à sa mort plus de deux fois dix centaines de millions de dettes, à trente francs le marc, parce qu’il voulut à la fois avoir cinq cent mille hommes sous les armes, deux cents vaisseaux, et bâtir Versailles ; et parce que, dans la guerre de la succession d’Espagne, ses armes furent longtemps malheureuses. Mais les ressources de la France sont beaucoup au-dessus