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OBSERVATIONS SUR LE COMMERCE,

le luxe seul fait vivre les pauvres ? La dépense doit être le thermomètre de la fortune d’un particulier, et le luxe général est la marque infaillible d’un empire puissant et respectable. C’est sous Charlemagne, sous François Ier, sous le ministère du grand Colbert, et sous celui-ci, que les dépenses ont été les plus grandes, c’est-à-dire que les arts ont été le plus cultivés.

Que prétendait l’amer, le satirique La Bruyère, que voulait dire ce misanthrope forcé, en s’écriant : « Nos ancêtres ne savaient point préférer le faste aux choses utiles ; on ne les voyait point s’éclairer avec des bougies, la cire était pour l’autel et pour le Louvre..… Ils ne disaient point : Qu’on mette les chevaux à mon carrosse..… L’étain brillait sur les tables et sur les buffets, l’argent était dans les coffres, etc. ? » (Chap. VII, de la Ville.) Ne voilà-t-il pas un plaisant éloge à donner à nos pères, de ce qu’ils n’avaient ni abondance, ni industrie, ni goût, ni propreté ? L’argent était dans les coffres. Si cela était, c’était une très-grande sottise. L’argent est fait pour circuler, pour faire éclore tous les arts, pour acheter l’industrie des hommes. Qui le garde est mauvais citoyen, et même est mauvais ménager. C’est en ne le gardant pas qu’on se rend utile à la patrie et à soi-même. Ne se lassera-t-on jamais de louer les défauts du temps passé[1] pour insulter aux avantages du nôtre[2] ?

Ce livre de M. Melon en a produit un de M. Dutot[3], qui l’em-

  1. Voyez, sur les effets politiques du luxe, le traité de Smith Sur la nature et les causes de la richesse des nations, l’un des ouvrages les plus profonds et les plus utiles que ce siècle ait produits. La Bruyère paraît un homme supérieur toutes les fois qu’il s’agit de démêler ou de peindre les faiblesses du cœur humain et les petitesses de l’amour-propre. Alors il approche de La Rochefoucauld, quoique moins original et moins profond dans les idées, et moins naturel dans l’expression. Mais lorsque La Bruyère veut s’élever au-dessus de ces observations de détail, il tombe au-dessous du médiocre. (K.) — Le livre de Smith est intitulé Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations. Il a été traduit en français par Blavet, 1788, six volumes in-12 ; id., deux volumes in-8° ; 1800, quatre volumes in-8° ; par Boucher, 1790, quatre volumes in-8° ; par G. Garnier, 1802, cinq volumes in-8° ; 1822, six volumes in-8°.
  2. Dans la Bibliothèque française, après ces mots on lisait : « Mais n’opposons point ici déclamation à déclamation. Je me hâte d’arriver aux points importants qui font l’objet de l’excellent livre de M. Dutot : les augmentations de monnaies, si fréquentes avant notre heureux ministère, sont-elles utiles à l’État, ou préjudiciables ? M. Dutot démontre que toute mutation de monnaie, etc. »

    En 1745 fut ajouté l’alinéa qui est dans le texte ; et c’était aux mots notre siècle que se terminait la première lettre. La seconde commençait par les mots : M. Dutot démontre que toute mutation, etc. Ce fut en 1756 que l’auteur mit : On sait que toute mutation, etc. (B.)

  3. Le livre de M. Dutot est intitulé Réflexions politiques sur les finances et le commerce, etc., 1738, deux volumes in-12.