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LE LUXE, LES MONNAIES, ET LES IMPÔTS.

méprises qui se trouvent dans un livre utile : ce n’est même que là qu’il les faut chercher. C’est respecter un bon ouvrage que de le contredire ; les autres ne méritent pas cet honneur[1].

Voici quelques propositions qui ne m’ont point paru vraies :

I. Il dit que les pays où il y a le plus de mendiants sont les plus barbares. Je pense qu’il n’y a point de ville moins barbare que Paris, et pourtant où il y ait plus de mendiants. C’est une vermine qui s’attache à la richesse ; les fainéants accourent du bout du royaume à Paris pour y mettre à contribution l’opulence et la bonté. C’est un abus difficile à déraciner, mais qui prouve seulement qu’il y a des hommes lâches, qui aiment mieux demander l’aumône que de gagner leur vie. C’est une preuve de richesse et de négligence, et non point de barbarie.

II. Il répète dans plusieurs endroits que l’Espagne serait plus puissante sans l’Amérique. Il se fonde sur la dépopulation de l’Espagne et sur la faiblesse où ce royaume a langui longtemps. Cette idée que l’Amérique affaiblit l’Espagne se voit dans près de cent auteurs ; mais s’ils avaient voulu considérer que les trésors

  1. Dans la Bibliothèque française (voyez la note, page 359), la pièce commence ainsi :

    « Je vous remercie, mon cher ami, de m’avoir fait connaître le livre de M. Dutot sur les finances ; c’est un Euclide pour la vérité et l’exactitude. Il me semble qu’il fait, à l’égard de cette science, qui est le fondement des bons gouvernements, ce que Lémery a fait en chimie : il a rendu très-intelligible un art sur lequel, avant lui, les artistes jaloux de leurs connaissances, souvent erronées, n’avaient point écrit, ou n’avaient donné que des énigmes.

    Je viens de relire aussi le petit livre de feu M. Melon, qui a été l’occasion de l’ouvrage plus détaillé et plus approfondi qu’a donné M. Dutot.


    Nardi parvus onyx eliciet cadum.
                      (Hor., IV, ode xii, vers 17.)


    L'Essai de M. Melon me paraît toujours digne d’un ministre et d’un citoyen, même avec ses erreurs. Il me semble, toute prévention à part, qu’il y a beaucoup à profiter dans ces lectures : car je veux croire, pour l’amour du genre humain, que ces livres, et quelques-uns de ceux de M. l’abbé de Saint-Pierre, pourront, dans des temps difficiles, servir de conseils aux ministres à venir, comme l’histoire est la leçon des rois.

    Parmi les choses que je remarque sur l’Essai de M. Melon, il me sera bien permis, en qualité d’homme de lettres et d’amateur de la langue française, de me plaindre qu’il en ait trop négligé la pureté. L’importance des matières ne doit point faire oublier le style. Je me souviens que, lorsque l’auteur me fit l’honneur de me donner sa seconde édition, il me dit qu’il était bien difficile d’écrire en français, et qu’on lui avait corrigé plus de trente fautes dans son livre : je lui en montrai cent dans les vingt premières pages de cette seconde édition corrigée. Passons à des inadvertances plus importantes. Il me semble que, dans ces écrits que l’intérêt public a dictés, il ne faut souffrir aucune erreur. Voici quelques propositions, etc. »