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VIE DE M. J.-B. ROUSSEAU.

chez le roi, homme d’esprit et de talent, auteur de plusieurs comédies charmantes, qui n’avait envers Rousseau d’autre crime que d’avoir publié plusieurs de ses pièces fugitives dans le Mercure galant.

Rousseau se donne, dans cette préface, pour un homme du monde qui n’a fait des vers que par amusement, et qui est devenu auteur malgré lui. « Voici enfin, dit-il, le petit nombre d’ouvrages qui m’ont donné malgré moi la qualité d’auteur….. » Il faut avouer que cette vanité était intolérable dans un homme de son espèce, qui avait passé une partie de sa vie à faire des opéras et des comédies pour subsister. Ce qu’il y a peut-être encore de plus honteux, c’est d’avoir, dans cette préface, traité M. de Francine d’homme d’homme divin, après lui avoir prodigué dans la Francinade les injures les plus grossières.

La raison de cette apothéose de M. de Francine était, comme je l’ai déjà insinué, une quête faite en faveur de Rousseau par Mme  de Bouzoles ; M. de Francine donna vingt louis d’or. J’ai lu dans un journal que le jeune Voltaire en avait aussi donné quelques-uns. Ce fait est très-vraisemblable, car on remarque qu’il s’est toujours fait un mérite d’aider les gens de lettres. Mais, en vérité, diviniser M. de Francine parce qu’il en avait reçu vingt louis, et l’avoir accablé d’injures parce que l’opéra de Jason n’avait été payé que cent pistoles, c’étaient deux bassesses également méprisables.

Rousseau ne quitta la maison de M. du Luc que pour passer au service du prince Eugène, auprès de qui il resta quelques années. On espérait même qu’il écrirait la vie de ce prince, qui a joué un si grand rôle ; mais, soit qu’il manquât de Mémoires, soit qu’il ne se sentît pas les mêmes talents pour la prose que pour les vers, il n’a jamais commencé cette histoire.

VII. — SON SÉJOUR À BRUXELLES ; SES BROUILLERIES AVEC VOLTAIRE.

De Vienne, Rousseau passa à Bruxelles, dans l’espérance que le marquis de Prié, commandant aux Pays-Bas, lui ferait avoir quelque emploi. Mais sa principale ressource fut l’Angleterre : car dans un voyage en Hollande, ayant fait sa cour à milord Cadogan, qui était à la Haye, ce seigneur anglais le mena à Londres, et lui procura des souscriptions pour l’impression de ses œuvres[1]. Il revint d’Angleterre avec environ cinq cents

  1. Londres, 1723, deux volumes in-4°.