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VIE DE M. J.-B. ROUSSEAU.

Car Nostrodamus a prédit
Qu’il doit engendrer l’antechrist.

On avait résolu de faire chanter cette chanson sur le Pont-Neuf, et à la porte de Rousseau, par les aveugles de la ville ; mais Lamotte, revenant à son caractère doux, aima mieux se réconcilier avec Rousseau, malgré les conseils de MM. de Fontenelle, Saurin et Boindin, Ce qu’il y eut d’assez plaisant, c’est que la réconciliation des deux poëtes qui s’étaient attaqués par des satires se fit chez M. Despréaux.

Enfin, après la mort de Thomas Corneille et d’un autre académicien, Lamotte obtint une place à l’Académie française, et Rousseau fut refusé. Ce refus aigrit Rousseau ; de nouveaux couplets en furent le fruit : ce fut cette dernière démarche qui causa dans Paris un scandale dont il y a peu d’exemples, et qui finit enfin par perdre sans retour un homme qui eût pu faire beaucoup d’honneur à son pays par ses talents, s’il en eût fait un autre usage.

Cette chanson, si abominable et si connue, contient quatorze couplets contre Lamotte, Saurin et Boindin, La Faye, l’abbé de Bragelongne, Crébillon, et enfin contre tous les amis de M. de Lamotte. On envoya secrètement des copies chez les principaux intéressés, pour les outrager. Ce fut vers Pâques de l’année 1710 que cette aventure éclata.

Un des plus offensés dans ces couplets était M. de La Faye, capitaine aux gardes, et bon géomètre de l’Académie des sciences. Il venait d’épouser une femme très-respectable, et la chanson reprochait à cette dame les choses les plus infâmes et les maladies les plus honteuses. M. de La Faye rencontra Rousseau un matin vers le Palais-Royal. Il sort d’une chaise à porteur (c’était sa voiture ordinaire) ; il court sur Rousseau la canne haute, lui en donne vingt coups sur le visage, Rousseau s’enfuit dans le Palais-Royal ; La Faye l’y poursuit, et le bat encore sur la porte, Rousseau informe contre La Faye, comme auteur de violences commises dans une maison royale. La Faye informe contre Rousseau, comme auteur de libelles infâmes et dignes du feu, M. de Contades, alors major des gardes, se chargea d’accommoder l’affaire. Rousseau se désista de son procès, moyennant cinquante louis que La Faye devait donner ; mais la suite de cette aventure priva encore Rousseau de ces cinquante louis.

Il se sentait perdu dans le public ; il voulut se disculper de l’infamie de ces couplets, et perdre en même temps un de ses