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VIE DE M. J.-B. ROUSSEAU.

Un bonze ayant quelque temps disputé
Sur certains points convint avec l’apôtre,
Dont à part soi, fort contents l’un de l’autre.
Chacun sortit en se congratulant.
Le moine dit : Grâces à mon talent,
De ce Chinois j’ai fait un prosélyte.
Béni soit Dieu, dit l’autre en s’en allant,
J’ai converti cet honnête jésuite.

Il serait à souhaiter qu’il n’eût point déshonoré ce talent par la licence effrénée avec laquelle il mit en épigrammes les traits les plus impudiques, et dont la nature s’effarouche davantage, La sodomie, la bestialité, un prêtre qui se vante d’avoir violé un chat, des malheureux qui se plaisantent au moment de leur supplice sur le crime qui les y a conduits : voilà les sujets qu’il a traités[1]. Est-il possible qu’un homme qui avait du goût ait pu rimer ces horreurs, contre la première règle de l’épigramme, qui veut que le sujet puisse faire rire les honnêtes gens ? Mais ces mêmes infamies qui le faisaient détester des gens de bien lui donnaient accès chez les jeunes libertins. Il traduisait des psaumes pour plaire à M. le duc de Bourgogne, prince religieux ; et il rimait des ordures pour souper avec des débauchés de Paris. Un jour que M. le duc de Bourgogne lui reprochait de mêler ainsi le sacré avec le profane, il répondit que ses épigrammes étaient les Gloria Patri de ses psaumes ; et à propos d’une épigramme où il était question du temple antérieur d’une nonnain et de son annexe, une dame lui demanda ce que ce temple et son annexe signifiaient ; il répondit que c’était Notre-Dame et Saint-Jean le Rond. Cette réponse n’était pourtant pas originairement de lui ; c’était un bon mot de l’abbé Servien, frère du marquis de Sablé. Quant aux épigrammes et aux contes, dont le sujet a toujours roulé sur des moines, ce fut M. Ferrand, très-bon épigrammatiste, qui dit lui-même qu’il n’y a point de salut en épigrammes et en contes hors de l’Église.

Vers l’an 1707, l’Académie française ayant proposé pour sujet du prix de poésie, la Gloire du roi supérieure à tous les événements, Lamotte et Rousseau composèrent pour ce prix, chacun très-secrètement ; aucun des juges ne savait le nom des concurrents : Lamotte eut le prix tout d’une voix, et le méritait.

  1. L’on ne décrit ces exécrations que pour l’horreur des infâmes, et qu’afin d’exciter aux prières les gens de bien contre de pareilles abominations. (Note de Voltaire.)